Depuis le 9ème siècle, des pèlerins sillonnent les routes européennes afin de se rendre à Saint-Jacques-de-Compostelle, en Espagne, afin de se recueillir devant le tombeau présumé de l’apôtre Jacques de Zébédée dit Jacques le Majeur.
Les premiers pèlerins partent à l’aventure des quatre coins des pays chrétiens dès le 9ème siècle et doivent affronter de nombreuses embûches. Ils traversent des régions hostiles et sont victimes des guerres qui y sévissent, des brigands, des maladies, de l’épuisement voire des loups.
Petit à petit des itinéraires « officiels » sont créés et ces premiers chemins traversent des villes-étapes qui profitent grandement de l’afflux de pèlerins.
Aujourd’hui, en France, quatre chemins de Compostelle convergent vers Puente la Reina, un village de la communauté forale de Navarre avant de rejoindre la ville de Saint-Jacques, en Galice.
Pèlerins, passionnés d’art et d’histoire ou simples curieux, nous vous invitons à partir à votre tour sur les chemins de Saint-Jacques pour un inoubliable voyage dans le temps.
Un peu d’histoire
Selon la tradition chrétienne basée sur les premiers Évangiles , Jésus issu d’une famille juive naît probablement en Galilée dans la dernière décennie avant notre ère.
A ce sujet, il est bon de rappeler que l’année de sa naissance, « Anno Domini », actuellement considérée comme le début de l’ère commune a été calculée par un moine du 5ème siècle, Denys le Petit.
Or, son calcul s’est avéré erroné lorsque les grandes dates de l’histoire de Jésus ont été comparées aux faits historiques. De même, l’anniversaire de la naissance de Jésus a été arbitrairement fixé au 25 décembre simplement pour le faire coïncider avec la fête romaine du « Sol Invictus » (le Soleil invaincu). Ce n’est qu’en 380 après JC que cette fête devient réellement chrétienne.
Enfin, le lieu précis de la naissance de Jésus est tout aussi difficile à déterminer et, selon les différentes théories, se situe à Nazareth, Bethléem, Capharnaüm ou Chorazeïn.
Nous ne rentrerons pas dans le débat concernant la naissance « divine » ou naturelle de Jésus. Les récits concernant ses trente premières années sont lacunaires et il faut prendre avec précaution les textes publiés par les religieux. En effet, les zones d’ombre ont largement été comblées par des récits embellis afin de « servir » le christianisme.
C’est donc vers l’âge de 30 ans que Jésus se fait connaître comme prédicateur annonçant le « royaume de Dieu » après avoir été baptisé par Jean le Baptiste dans les eaux du Jourdain. Des disciples ou « apôtres » le rejoignent dans sa quête.
Le nombre généralement admis de 12 apôtres ne repose sur aucune preuve et il est possible qu’ils aient été dès le début plus nombreux.
Quel que soit le nombre réel des disciples de Jésus l’accompagnant dans sa mission, Jacques et Jean, les fils de Zébédée, un pécheur du lac de Tibériade, font partie de ses premiers et principaux compagnons. Ils sont notamment les témoins d’événements miraculeux.
Histoire et légendes de Saint-Jacques-le-Majeur
Après l’exécution de Jésus, Jacques dit le Majeur poursuit sa mission d’évangélisateur et se rend probablement en Espagne, d’abord à Gadès (actuellement Cadix), ensuite à Caesaraugusta (actuellement Saragosse) et enfin en Galice. Cette pérégrination n’a cependant pas été confirmée et n’a, en tous les cas, pas été couronnée de succès.
A l’annonce de la persécution des chrétiens, il revient en Judée où il convertit notamment le magicien pharisien Hermogène. Il déclenche ainsi le courroux du grand-prêtre d’Israël, Abiathar, qui le livre au roi de Judée, Hérode Agrippa. Celui-ci ordonne sa décapitation.
Selon « La Légende dorée », un ouvrage du 13ème siècle, le corps de Saint-Jacques-le-Majeur est installé par ses disciples sur un bateau sans gouvernail qui le ramène « miraculeusement » par « volonté divine » en Galice.
En 813, un ermite appelé Pélage raconte à l’évêque d’Iria Flavia (actuellement Padrón), Théodomir, qu’une étoile baigne un champ d’une lueur étrange. L’évêque ordonne de fouiller le terrain qui abrite un cimetière. Il affirme aussitôt avoir découvert le corps de Saint-Jacques, une version toute aussi vite admise par le pape.
Le saint est inhumé dans une église de la ville qui porte dorénavant son nom, Saint-Jacques-de-Compostelle, Compostelle faisant référence au champ de l’étoile (Campus Stellae). Les premiers pèlerins se mettent en route afin de se recueillir devant le tombeau de l’apôtre.
En 844, en pleine reconquête de l’Espagne musulmane, la «Reconquista », la bataille fait rage à Clavijo. Les chrétiens au bord de la défaite bénéficient soudain d’une aide inattendue. Selon la légende, Saint-Jacques en personne apparaît sur un cheval blanc, l’épée à la main, et vole la victoire aux Maures. Il n’en fallait pas plus pour faire de Saint-Jacques « le Matamore » (tueur de Maures) le patron de l’Espagne.
La cathédrale actuelle a été construite à partir de 1075 et consacrée en 1211.
Le tombeau de Saint-jacques : mythe ou réalité ?
Bien entendu, on peut se demander si le tombeau en marbre installé dans la cathédrale de Saint-Jacques-de-Compostelle renferme bien le corps du disciple de Jésus qui serait venu s’échouer en Galice, guidé par Dieu.
Dès sa découverte au début du 9ème siècle, le doute s’installe et nulle découverte ne permet de confirmer cette hypothèse.
Une fois de plus, les théologiens arrangent la réalité afin qu’elle serve leur cause. C’est ainsi qu’ils affirment que le chef de guerre Al-Mansur, représentant les califes de la dynastie des Omeyyades, aurait épargné le tombeau lors de son raid contre la ville, en 997, alors que la basilique est entièrement détruite.
Pour expliquer le geste d’Al-Mansur, la légende chrétienne raconte que devenu aveugle, il aurait imploré l’aide du dieu des chrétiens qui lui rendit la vue. Cette histoire est fortement improbable mais donne une explication « acceptable » à l’abandon de la ville par Dieu. A peine relevée de ses cendres, Saint-Jacques-de-Compostelle accueille de nouveau un flot continu de pèlerins venus de tout le monde chrétien.
A l’heure actuelle, l’authenticité du tombeau ainsi que la présence de Jacques-le-Majeur en Espagne sont remises en question. L’Église parle d’ailleurs plus volontiers de « mémorial » de Saint-Jacques que de reliques ou de sépulture.
Des documents écrits concernant la biographie et des faits significatifs concernant Saint-Jacques sont regroupés au 12ème siècle dans le « Codex Calixtinus ». Cet ouvrage qui a été réédité à plusieurs reprises est conservé dans les archives de la cathédrale.
Quoiqu’il en soit, Compostelle est considéré depuis la fin du 15ème siècle comme l’un des trois pèlerinages majeurs de la chrétienté, au même titre que Rome ou Jérusalem.
Le début du pèlerinage en France
Au Moyen-Âge, la France est l’un des principaux états chrétiens. Le royaume participe notamment aux croisades lancées par le pape afin de permettre aux pèlerins de se recueillir à nouveau devant les lieux saints de Jérusalem. En effet, les Seldjoukides qui se sont emparés de la ville au détriment des Fatimides en interdisent l’accès aux chrétiens.
Il n’est donc pas étonnant que les habitants du royaume de France, nobles ou paysans, prennent la route de Saint-Jacques-de-Compostelle. En effet, la péninsule hispanique a été conquise au début du 8ème siècle par les califes Omeyyades. Seules quelques régions situées dans le nord du pays n’ont pas été intégrées dans les territoires d’Al-Andalus.
Les chrétiens s’organisent pour reprendre les territoires perdus dès le milieu du siècle. La « Reconquista » ne s’achèvera qu’en 1492 avec la chute de Grenade, dernier fief musulman.
En se rendant à Saint-Jacques-de-Compostelle, les chrétiens combattent donc les païens à l’instar des croisés qui font route vers Jérusalem à la même époque.
Les pionniers
Les premiers pèlerins français sillonnent donc les routes du royaume afin de rejoindre la « Voie de Soulac » longeant l’océan Atlantique depuis Soulac-sur-Mer. Ce chemin se prolonge par le « Camino del Norte » qui part de Bayonne pour arriver à Saint-Jacques ou par le « Camino Francés », un itinéraire plus tardif dont le point de départ se situait soit à Saint-Jean-Pied-de-Port, soit à Ostabat.
Le chemin est long et périlleux et ces pionniers doivent non seulement craindre les musulmans quand ils arrivent en Espagne mais également les bandits de grand chemin. De plus, ils doivent parfois traverser des territoires où règne l’instabilité, notamment le duché de Normandie en conflit régulier avec ses voisins, le duché de Bretagne et le comté de Blois.
Les chemins de Saint-Jacques et le guide du pèlerin
Petit à petit, les routes les plus fréquentées par les pèlerins se rendant à Saint-Jacques-de-Compostelle profitent du passage des pèlerins. Les villes traversées se développent et des infrastructures sont mises en place pour accueillir le flot incessant de voyageurs qui peuvent désormais se reposer, se restaurer ou être soignés dans des hôpitaux et des hospices. Ils peuvent également se recueillir dans les abbayes et les églises ou cathédrales qui jalonnent leur parcours.
Si les pèlerins empruntent à peu près les mêmes routes pour se rendre en Galice, la mention de « Chemins de Compostelle » n’apparaît réellement qu’au 19ème siècle. Quatre grands itinéraires sont repris dans la dernière partie du « Codex Calixtinus », le « Guide du Pèlerin de Saint-Jacques-de-Compostelle » tiré de l’oubli en 1882.
Il n’est pas possible, à l’heure actuelle, de dater avec précision le texte d’origine du guide. Si certains historiens estiment qu’il a été écrit au Moyen-Âge, beaucoup pensent qu’il est largement postérieur à cette époque.
Le premier chapitre de ce guide commence par les mots :
Il y a quatre routes qui, menant à Saint-Jacques, se réunissent en une seule à Puente-la-Reina (…), de là un seul chemin conduit à Saint-Jacques.
En onze chapitres, le recueil fournit au pèlerin toutes les informations nécessaires pour éviter les embûches du voyage, pour connaître les bonnes adresses et pour découvrir les villes et les lieux saints situés le long de la route choisie.
Le Guide du Pèlerin a été utilisé par les fidèles se rendant à Saint-Jacques mais a également servi de base pour déterminer les chemins officiels traversant la France à partir de Tours (ou de Paris), du Vézelay, d’Arles et du Puy.
Or, il est certain que bien d’autres itinéraires étaient choisis par les pèlerins français en provenance des quatre coins du pays mais également par les étrangers originaires notamment de l’Angleterre, de la Belgique ou de l’Allemagne qui traversaient obligatoirement la France pour arriver à destination.
De l’essor au déclin
Le pèlerinage prend de l’ampleur et profite également de la perte des dernières possessions chrétiennes en Terre Sainte.
Au début du 13ème siècle, le roi de León et de Galice, Alphonse IX assiste à la consécration de la cathédrale romane dont la construction avait débuté en 1075.
Le succès du pèlerinage ne cesse de s’accroître mais, à la veille du 15ème siècle, la tendance s’inverse. Plusieurs causes expliquent ce déclin, notamment les grandes épidémies dont la peste noire qui tue près de la moitié de la population en Europe, la Guerre de Cent Ans opposant la France et l’Angleterre et, par la suite, les guerres franco-espagnoles.
Malgré ces difficultés et la complexification des démarches administratives liées aux pèlerinages à l’étranger, Saint-Jacques-de-Compostelle continue a attiré les chrétiens même s’ils sont beaucoup moins nombreux que durant le Moyen-Âge.
Le 19ème siècle marque cependant le coup de grâce de ce pèlerinage en raison de la suppression des ordres religieux et de l’adoption de la Constitution civile du clergé au lendemain de la Révolution.
Les guerres napoléoniennes et la séparation de L’Église et de l’État suite à l’instauration de la République en Espagne aggravent encore la situation. Dorénavant les pèlerins ne sont plus qu’une poignée et les infrastructures destinées à les accueillir ferment peu à peu leurs portes.
Et aujourd’hui ?
Alors que le pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle est à l’agonie, on assiste à une reprise de ferveur au 20ème siècle.
Des associations « jacquaires » sont fondées en France et à l’étranger.
La première d’entre elle, la « Société Française des Amis de Saint-Jacques-de-Compostelle » voit le jour en 1950. Elle se donne pour mission de recréer et de valoriser les chemins de Compostelle, d’aider les pèlerins avant et durant leur voyage et de développer différents projets en partenariat avec des institutions françaises et étrangères.
Les chemins de Saint-Jacques sont élus « premier itinéraire culturel européen » et le Camino Francés est classé sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO en 1993.
On estime que, chaque année, la fréquentation de ces routes augmente de 10%. Elles sont dorénavant empruntées par des chrétiens mais également par des passionnés d’histoire ou simplement par des personnes souhaitant se ressourcer ou ajouter ce voyage à leurs « exploits » sportifs.
Comment reconnaître les pèlerins ?
Si vous sillonnez les routes françaises ou espagnoles et que vous remarquez des personnes à pied, à vélo ou à cheval, vous vous demanderez peut-être si ce sont des pèlerins en chemin vers Saint-Jacques.
Autrefois, il était très facile de les reconnaître à leur grand bâton appelé bourdon, à la besace contenant leurs quelques biens, leurs documents et leur nourriture, à leur calebasse, à leur manteau et à leur chapeau à bord rabattu.
Bien entendu, les pèlerins d’aujourd’hui ont abandonné cette tenue pour des vêtements et accessoires plus modernes. Mais ils ont tous conservé le symbole caractéristique du pèlerin de Saint-Jacques, la « coquille » qui est adoptée dès le 12ème siècle.
Les pèlerins ramassaient ce coquillage sur le rivage galicien avant de prendre le chemin du retour. Il était cousu sur le chapeau à côté des « azabaches », des petits objets de piété en jais et des « bourdonnets », des miniatures du bourdon.
Si vous les croisez, n’hésitez pas à les encourager en leur disant « ultreia » signifiant « toujours plus loin ».
Les quatre chemins officiels en France
- La Via Turonensis part de Paris et rejoint Ostabat après avoir rejoint la Via Lemovicensis et la Via Podiensis pour former le Camino navarro, une portion du Camino Francés.
- La Via Lemovicensis débute à l’abbaye de la Madeleine de Vézelay et passe par Limoges avant de former le Camino navarro.
- La Via Podiensis prend naissance au Puy-en-Velay et rejoint les deux premières routes peu avant Ostabat.
- La Via Tolosana débute à Arles et passe par Toulouse avant de passer les Pyrénées par le col du Somport. Elle se prolonge par le Camino aragonés en direction de Puente-la-Reina. Cette route fait partir des sentiers de grande randonnée (GR 653).
Si vous aussi vous envisagez de prendre la route vers Saint-Jacques-de-Compostelle ou si vous voulez mieux comprendre l’engouement pour ce pèlerinage vieux de plus d’un millénaire, nous vous invitons à découvrir l’association jacquaire.
Société Française des Amis de Saint-Jacques-de-Compostelle©
8 bis rue Jean-Bart
75006 Paris
Tel : 01 43 54 32 90
Mail : [email protected]
Site web : http://www.compostelle.asso.fr
Très instructif concernant l’histoire de ce pèlerinage. Quelle belle aventure que celle de pouvoir marcher sur de ces chemins.
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