La Mothe-Chandeniers: quand des internautes sauvent un château
En sillonnant les routes de France, nous remarquons régulièrement des ruines de petits châteaux totalement méconnus et qui auraient pourtant bien mérité être sauvés de cette lente mais inexorable destruction orchestrée par la nature et les intempéries.
Aujourd’hui, nous vous proposons de découvrir l’histoire d’un château situé dans le département de la Vienne, en région Aquitaine.
Construit au Moyen-Âge et réaménagé en style néo-gothique au 19ème, le château de la Mothe-Chandeniers est fortement détérioré par un incendie dans les années 1930. L’édifice dorénavant abandonné continue à se dégrader et aurait pu connaître un sort funeste s’il n’avait pas été « adopté » par des internautes en 2017.
Ce vaste mouvement international a donné vie au projet de réhabilitation d’un joyau architectural.
Un peu d’histoire
La famille de Bauçay
Une première mention d’un château situé à proximité du village de Bernazay situé dans la région historique de l’Anjou remonte à la fin du 11ème siècle.
Il s’agit du château-fort de la Mothe-de-Bauçay (ou Motte de Baussay) probablement édifié par le seigneur Hugues III de Bauçay sur le site d’une motte castrale, c’est à dire un tertre naturel ou artificiel protégé par une palissade et surmonté d’un fortin de bois.
Ce type de construction est très « en vogue » du 10ème au 12ème siècle. Il présente les avantages d’être rapidement construit, d’être peu coûteux, de permettre de surveiller les environs grâce à sa position dominante et d’offrir une protection et un refuge aux habitants en cas de besoin. Les mottes castrales sont les ancêtres des donjons et sont à l’origine de la naissance d’une multitude de petites seigneuries plus ou moins puissantes. Elles ont donc à la fois une fonction militaire et une fonction résidentielle.
L’apparition de nouvelles techniques de guerre et principalement l’utilisation de machines durant les sièges marque la fin des mottes castrales et le début des véritables châteaux-forts construits cette fois en pierres.
Au 14ème siècle, le village de Bernazay est rebaptisé Trois-Moutiers et profite d’une certaine prospérité grâce à la fondation des trois monastères qui lui ont donné son nom à savoir, Saint-Hilaire, Saint-Pierre et Notre-Dame. Il ne reste malheureusement rien des deux premiers tandis que le troisième prieuré a été transformé en habitation privée.
A la même époque, les tensions entre la France et l’Angleterre sont de plus en plus vives. La mort de Charles IV dit le Bel plonge la France dans une profonde crise politique. En effet, le dernier fils de Philippe-le-Bel qui avait succédé à ses frères aînés, Louis X dit le Hutin et Philippe V dit le Long décède à son tour sans héritier mâle.
Or, les femmes ne peuvent pas accéder au trône ce qui laisse la succession ouverte. Trois candidats se présentent pour s’emparer la couronne de France, le comte Philippe de Valois, cousin du défunt roi, le comte Philippe d’Évreux, époux de Jeanne de France et enfin Édouard III d’Angleterre dont la mère Isabelle de France est la fille de Philippe IV le Bel.
La couronne est remise à Philippe de Valois par les pairs de France qui ne veulent pas prendre le risque de la laisser à un souverain étranger et écartent donc les prétendants qui appuient leurs prétentions sur des femmes. En compensation, Philippe d’Évreux reçoit néanmoins le royaume de Navarre.
Ce choix laisse Édouard III pour le moins amer. Il rend cependant hommage à Philippe VI pour la Guyenne mais moins de dix ans plus tard, en 1337, la Guerre de Cent Ans est déclarée.
Durant la première partie de ce long conflit, les Anglais enchaînent les victoires et, en 1360, le traité de Brétigny est nettement défavorable aux Français qui perdent de nombreux territoires au profit de leurs ennemis. La paix n’est que temporaire et lorsque Charles V dit le Sage monte sur le trône, il prépare aussitôt la reconquête du royaume.
Le fort de la Mothe-de-Bauçay régulièrement assiégé tombe une première fois entre les mains des Anglais obligeant les troupes du roi à intervenir pour le récupérer. Charles V le rend à Amaury de Bauçay à condition de le « garder à ses périls ».
Lorsque le château est pris une seconde fois, le roi qui a du à nouveau reconquérir le domaine confisque le domaine le 6 juin 1371 et le confie à Guillaume Le Cuens.
Il promet néanmoins de restituer les terres aux Bauçay lorsque les provinces du Poitou et de Saintonge seront à nouveau sous l’autorité de la couronne de France.
Le 26 novembre 1372, le roi tient sa promesse et rend les terres à Jean de Bauçay, fils d’Amaury, mort entre-temps.
La famille Rochecouart-Champdeniers
Après avoir appartenu à la famille de Bauçay pendant plus de trois cents années, le château de la Mothe-de-Bauçay change de propriétaire lorsque Marie de Bauçay, Dame de la Motte de Baussay et de Cheneché, épouse au début du 15ème siècle Guillaume de Chaunay, Seigneur de Champdeniers et de Javarzay (ou Javarsay) et Chambellan du roi de Sicile Louis II d’Anjou.
Le château est légué à leur fils, François de Chaunay qui épouse Catherine de la Rochefoucauld en 1430.
Lorsque leur fille, Anne de Chaunay hérite à son tour du domaine, celui-ci devient propriété de son mari, le vicomte Jean IV de Rochecouart, Seigneur de Jars, chambellan et conseiller du roi Louis XI. La charge de chambellan a été accordée par Charles V aux Rochecouart de père en fils afin de récompenser la fidélité de la famille à la couronne.
Le château appartient dès lors à la famille Rochecouart-Champdeniers et connaît une période de gloire et de prospérité en raison de l’importance de ses propriétaires.
Le fils d’Anne de Chaunay et de Jean de Rochecouart, François de Rochecouart est tout à la fois Seigneur de Champdeniers, Chambellan du roi de France et Sénéchal de Toulouse.
Sa petite-fille épouse en 1542 Louis de Richelieu du Plessis, un lieutenant de compagnie de son père Antoine de Rochecouart qui occupe les fonctions de gentilhomme de la chambre et d’échanson à la cour du roi.
La notoriété de la famille atteint son apogée lorsque leur petit-fils, Armand-Jean de Richelieu du Plessis mieux connu sous le nom de cardinal de Richelieu devient le principal ministre de Louis XIII de 1624 à 1642.
C’est à cette époque que le château prend définitivement le nom de La Mothe-Chandeniers.
L’histoire de la famille de Rochecouart n’est cependant pas toujours glorieuse et si la plupart des seigneurs se battent aux côtés des rois de France et soutiennent le cardinal, un cousin du premier gentilhomme de la Chambre de Louis XIII et gouverneur de Paris, Gabriel de Rochecouart de Mortemart, François de Rochecouart est condamné à mort après la Journée des Dupes.
Le 11 novembre 1630, Louis XIII confirme garder sa confiance en la personne de Richelieu au grand dam de sa mère Marie de Médicis tandis que le Garde des Sceaux Michel de Marillac qui a vainement tenter d’évincer le cardinal est démis de ses fonctions et conduit au château de Chateaudun où il décède en 1632.
François de Rochecouart qui s’est opposé au cardinal n’échappe que de peu à l’échafaud, bénéficiant in extremis de la grâce royale. Il est emprisonné avant de partir en exil en Italie où il rencontre le cardinal de Mazarin, futur successeur de Richelieu.
Après la mort de ce dernier, la France traverse une grave crise sociale et politique. Le pays doit faire face non seulement aux Espagnols mais également à des révoltes internes connues sous le nom de la « Fronde ».
Au commencement de ces troubles, le jeune roi Louis XIV qui a succédé à son père alors qu’il n’était âgé que de 5 ans, en 1643, est encore mineur et c’est sa mère, Anne d’Autriche qui est régente du royaume.
Mazarin devient son principal ministre tandis qu’Anne écarte les conseillers désignés par testament par son époux défunt ce qui provoque la révolte du Parlement qui tente d’affaiblir le pouvoir absolu de la monarchie.
Les nobles, les officiers et les riches propriétaires accablés par les taxes levées pour financer la guerre et inquiets de voir leurs privilèges diminuer s’opposent également à la régente et à son conseiller.
Le 13 mai 1648, l’arrêt d’Union signé par le parlement, la chambre des comptes, le Grand Conseil et la Cour des Aides tente d’enrayer l’absolutisme monarchique en imposant un contrôle financier au roi et en abolissant notamment les lettres de cachet.
Il s’ensuit des années difficiles marquées notamment par la réunion de la « fronde parlementaire » et la « fronde des princes », par la Fronde du Grand Condé et par l’exil de Mazarin.
En 1651, Louis XIV est désormais majeur et il ne faut pas attendre longtemps pour que le jeune souverain rentre triomphalement à Paris. Mazarin retrouve sa place de conseiller en février 1653. La Fronde ne survit pas.
Le déclin
Or, François de Rochecouart a pris part activement à cette révolte nobiliaire. Il n’est donc plus le bienvenu à la cour et est contraint de se retirer sur ses terres.
Il s’installe au château de Champdeniers en 1650 et y mène la grande vie. Il reçoit « royalement » et ses visiteurs s’extasient devant les jardins et le luxueux mobilier de la demeure.
L’un de ses hôtes, le poète jésuite Léonard Frizon dit Chlore nous en donne une description détaillée reprise à la fin du 19ème siècle dans « Paysages et monuments du Poitou » :
«(…) ce monument était entouré d’eaux vives, une longue allée aboutissait au portail qui était surmonté d’une statue en bronze doré représentant Clytie, fille de l’Océan, flanquée à droite et à gauche par deux guerriers en marbre ; puis on franchissait les douves sur un large pont et on pénétrait dans une grande cour entourée de cyprès nains (…) ils arrivent sur une immense terrasse dont l’entrée est gardée par deux énormes lions de bronze, ils visitent ensuite les salles, la bibliothèque et l’arsenal, partout la richesse, le luxe et le goût offrent une splendeur véritablement royale. ( …) (il) descend par un escalier suspendu, véritable chef d’œuvre, dont les degrés enchaînés artistement ne se soutiennent que par leur propre poids (…) . Sortant du château, le poète visite les écuries où se trouvent réunies les plus rares races de chevaux, les jardins, où sont installés des jeux et un théâtre champêtre; au point d’intersection des allées s’élève une pyramide dont la base est formée par des globes de fer réunis ensemble, le sommet est occupé par une Renommée de bronze doré qui semble porter jusqu’aux astres le nom et les armes de Rochecouart.
Chlore, malgré sa surprise, cédant aux aimables engagements du seigneur, célèbre le château et ses maîtres, fait retentir tout l’Olympe des expressions d’une reconnaissance qu’il tenait depuis longtemps captive dans son cœur ».
Ses dépenses dépassent rapidement les revenus de François de Rochecouart ce qui le mène tout droit à la faillite.
La propriété est vendue par ses créanciers en 1668 à sa propre sœur, Marie de Rochecouart mais change de mains à plusieurs reprises par vente, mariage ou héritage. A l’aube du 18ème siècle, le fief devient un marquisat.
Au 19ème siècle, le château bénéficie d’un réaménagement complet de la part de son nouvel acquéreur, un entrepreneur parisien du nom de François Hennecart et de ses successeurs. Il est en grande partie reconstruit dans ce style néo-gothique si prisé à cette époque. Il trône désormais sur un îlot entièrement entouré d’un plan d’eau tel un joyau dans un écrin de verdure.
Malheureusement, le château est ravagé par un incendie en 1932 probablement en raison d’un chauffage défectueux et si les propriétaires tentent bien de le restaurer, cette entreprise n’aboutit pas. Les dégradations s’accélèrent laissant cette magnifique demeure ouverte aux quatre vents et en proie à la nature qui reprend peu à peu ses droits.
Les bois entourant la bâtisse sont un temps exploités avant d’être scindés en lots et mis en vente dans les années 1980.
Le sauvetage
Le château de la Mothe-Chandeniers aurait pu connaître un sort funeste et disparaître à jamais si une association ne s’était pas battue pour préserver ce bâtiment qui fait partie de l’histoire de la région.
Nous sommes en 2016 lorsque la plate-forme française de crowfunding Dartagnans et l’association « Adopte un château » décident d’unir leurs efforts pour sauver le château de la Mothe-Chandeniers.
Pour la somme de 50 euros, les internautes peuvent devenir l’un des propriétaires de l’édifice en danger.
Le résultat dépasse toutes les attentes puisque le sauvetage de la propriété devient la plus importante campagne de financement de France.
En quelques mois près de 28.000 personnes issues de 115 pays participent à la collecte de fonds et réunissent plus de 2 millions d’euros, soit plus de trois fois la somme espérée.
Le château et le domaine de 2,1 hectares forment dorénavant la plus grande copropriété du monde. Elle est gérée par la SAS Château de la Mothe-Chandeniers qui souhaite préserver les ruines et stopper les dégradations du bâtiment mais également exploiter le site et l’ouvrir au public.
Aujourd’hui
Grâce à l’élan de solidarité des internautes, le projet de sauvetage du château de la Mothe-Chandeniers est dorénavant une réalité et un premier chantier a débuté en janvier 2019.
Selon les estimations, il faudra sept ans pour sécuriser et consolider les vestiges du bâtiment.
Le château ne sera pas reconstruit mais certaines parties seront entièrement restaurées, notamment la cour et l’escalier d’honneur ainsi que la tour de l’horloge.
Selon ses statuts, la SAS a pour buts « l’acquisition, la détention, l’étude archéologique et de sécurisation du château ainsi que sa restauration, son utilisation, sa gestion, sa location et sa valorisation ».
La visite
A l’heure actuelle, seul le parc du château est accessible au public car le château n’est pas encore entièrement sécurisé.
Le domaine se visite librement de la mi-avril à la fin octobre du mercredi au dimanche de 10 à 13hr et de 14 à 18hr.
Il est possible de profiter des visites guidées organisées:
- en avril, mai, juin, septembre et octobre : du vendredi au dimanche à 15hr
- en juillet et en août : du mercredi au dimanche à 15hr
- en juillet et en août, une visite en anglais est organisée le vendredi à 11hr
Il est également possible de réserver la visite sur le site du château
Différents événements culturels sont régulièrement organisés…
Coordonnées
Château de la Mothe-Chandeniers
4 route de Roiffé
86120 Les Trois-Moutiers
Pour les informations et les réservations
Château de la Mothe-Chandeniers
Dartagnans
15 rue de Milan
75009 Paris
Tel : 01 88 32 71 52 ou 07 62 37 24 35
Que voir dans la région ?
Nous vous invitons à profiter de votre passage à Trois-Moutiers pour découvrir son riche patrimoine mégalithique et notamment les dolmens de Bernazay, de Vaon et de la Roche-Vernaize.
A Bournand, c’est l’ancienne commanderie des Moulins mentionnée dès 1214 qui retiendra votre attention. Successivement maison de l’Ordre du Temple et propriété des chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem, la commanderie a vécu des heures sombres durant la Révolution avant de bénéficier d’une restauration vers la fin du 19ème siècle.
La chapelle est classée et une partie de l’ancien logis est dorénavant inscrite sur la liste des monuments historiques.
La commanderie des Moulins est aujourd’hui propriété privée.
Que manger dans la région ?
Enfin ne quittez pas le Loudunais sans avoir découvert quelques spécialités régionales :
- Le chevreau à l’ail vert cuit au four ou en cocotte et qui se sert traditionnellement à Pâques lorsque l’ail du printemps nous offre toutes ses saveurs.
- Le pâté de Pâques, un pâté en croûte farci de différentes viandes hachées et d’herbes aromatisées au cognac . Des œufs durs sont glissés entiers dans cette farce aux parfums subtils.
- Le boudin noir du Poitou aux épinards hachés et à la semoule de blé …. un délice en grillade.