Les femmes dans les croisades
Lorsque nous entendons parler de croisades, nous nous imaginons des armées de preux chevaliers partant en Terre Sainte pour délivrer Jérusalem pendant que leurs dames restées au logis les attendent bien sagement.
Si la plupart des femmes du Moyen-Âge s’occupaient essentiellement de leur maisonnée et passaient leur temps à broder et à guetter le retour de leurs époux, il est faux de croire que c’était toujours le cas.
Aujourd’hui, nous vous proposons de découvrir que bon nombre d’entre elles ont participé activement aux croisades.
Un peu d’histoire
Au 4ème siècle de notre ère, le christianisme est fermement implanté en Europe et dans une partie du Moyen-Orient qu’il partage avec le judaïsme et certaines formes de polythéisme.
L’Arabie profite à cette époque d’une période de paix et est traversée par de nombreuses routes commerciales empruntées par les Byzantins et les Perses Sassanides. La population ne profite cependant pas de la situation et conserve principalement un mode de vie tribal et nomade ainsi que des croyances polythéistes et de nombreux rites liés au culte des Anciens. Vivant essentiellement de l’élevage, les Arabes connaissent des périodes de famine.
Une oasis installée traditionnellement autour d’un point d’eau se développe et devient une cité caravanière et un lieu de culte. La Mecque ne parvient cependant pas à rivaliser avec des villes comme Palmyre (Syrie) ou Pétra (Jordanie) et ne profite pas d’une administration centrale forte. Cette époque chaotique correspondant à l’« Âge de l’Ignorance » ou « jâhilîya » décrit dans le Coran précède l’apparition de l’Islam.
La Mecque est alors dominée par la tribu des Quraychites dont est issu Mahomet. Cette famille de marchands profite du passage des caravaniers qui empruntent les grandes routes commerciales pour s’enrichir et prendre le pouvoir. De plus, de nombreux pèlerins se rendent dans le sanctuaire qui abrite la « Kaaba », la pierre noire qui se trouve encore aujourd’hui dans la mosquée al-Haram.
Mahomet voit le jour aux environs de 570. Selon la tradition musulmane, «Jibril » correspondant à l’archange Gabriel de la Bible lui apparaît dans la grotte de Hira afin de lui transmettre la parole d’Allah alors qu’il est âgé d’une quarantaine d’années. Mahomet met de longues années à retranscrire ces préceptes qui deviendront la base du Coran.
Mahomet convertit d’abord ses proches à l’islam mais très vite, la petite communauté grandit.
Cette influence inquiète les familles marchandes les plus puissantes car l’enseignement de Mahomet repose sur une égalité sociale ce qui entame leur pouvoir. De plus, cette nouvelle religion pourrait éloigner les pèlerins venus adorer les idoles de la Kaaba et diminuerait par conséquent les rentrées d’argent.
C’est pour cette raison que Mahomet et ses compagnons quittent La Mecque et s’installent à Yathhrib (actuellement Médine), en 622, lors de l’ « hégire ».
De simple prophète, Mahomet devient le chef d’un état appelé « Umma » qui rassemble plusieurs tribus converties au monothéisme. Cela implique une organisation religieuse mais également politique et militaire car la conversion du monde arabe à l’islam ne se fait pas toujours sans violence malgré les intentions pacifiques de Mahomet et de ses disciples.
Le prophète décède en 632 à Médine.
En moins d’un siècle, l’islam se répand dans une grande partie des pays méditerranéens. Le monde musulman est gouverné par des califes dont les quatre premiers appelés « califes bien guidés » (califat rachidun) sont des compagnons du prophète. Ils appliquent scrupuleusement ses préceptes.
En 661, la dynastie des Omeyyade sissue des Quraychites prend le pouvoir avant d’être remplacée par les Abbassides en 750.
Ceux-ci doivent affronter de nombreuses révoltes dès la fin du 9ème siècle et ne parviennent plus à maintenir l’unité de l’empire arabe qui éclate en différents califats.
En 932, les Bouyides d’origine perse fondent ainsi leur propre dynastie mais ne peuvent résister aux Seldjoukides qui s’emparent de leurs territoires en 1037.
Cette tribu nomade turcique originaire du Turkestan (Asie centrale) et convertie au sunnisme entame une spectaculaire expansion vers le sud dès le 10ème siècle. A son apogée, en 1092, l’empire seldjoukide s’étend sur un immense territoire allant de l’Asie centrale au golfe Persique et englobant le pourtour méditerranéen.
En 1071, Jérusalem qui était entre les mains de la dynastie chiite des Fatimides est prise par les Seldjoukides.
Alors que les lieux saints de la ville étaient jusqu’à présent accessibles, moyennant le paiement d’une redevance, aux pèlerins chrétiens grâce à la tolérance des Omeyyades, Abbassides et Fatimides, la situation est dorénavant totalement différente puisque les Seldjoukides leur interdisent l’entrée de la ville.
La première croisade
C’est donc dans le but de rétablir l’accès de Jérusalem aux pèlerins chrétiens qui veulent se recueillir devant le tombeau du Christ et la Sainte-Croix que la première croisade ou plutôt le premier « iter hierosolymitanum » (voyage vers Jérusalem) est organisé à la fin du 11ème siècle.
Avant l’arrivée des Seldjoukides, le flot des pèlerins venus d’Occident est incessant malgré les difficultés rencontrées lors de ces longs et périlleux voyages. Le pèlerinage de Jérusalem est destiné à effacer les péchés ce qui incite les chrétiens à braver les dangers, maladies et actes de brigandage. De nombreux sanctuaires et monastères chrétiens sont construits intra muros et ce phénomène s’intensifie encore en 1033, mille ans après le décès du Christ.
Lorsque les Turcs seldjoukides deviennent de plus en plus menaçants, les Byzantins réclament de l’aide des Occidentaux afin de protéger leur empire et de récupérer les villes perdues. Cette demande est donc, à l’origine purement territoriale mais elle est récupérée par l’Église.
En 1095, le pape Urbain II convoque un concile à Clermont (actuellement Clermont-Ferrand), officiellement pour établir des règles concernant le clergé et pour confirmer l’excommunication du roi de France Philippe 1er qui a refusé de répudier son épouse illégitime Bertrade de Montfort.
Or, le pape profite de l’occasion pour promettre le pardon des péchés des hommes (indulgence plénière) qui se rendront à Jérusalem afin de délivrer les chrétiens d’Orient victimes des païens.
Ce discours connu sous le nom d’ « Appel de Clermont » est à l’origine de la « première croisade ».
Il suscite une ferveur qui dépasse les attentes du pape et nombreux sont ceux qui vendent leurs biens et quittent leur famille pour se croiser. Ils sont motivés non seulement par la promesse du pardon de leurs péchés mais également par la possibilité de partir à la guerre avec l’approbation de l’Église. Leur signe d’appartenance à cette communauté chrétienne est une croix cousue sur les tuniques.
Le fait le plus marquant de cette première croisade est son succès auprès des classes sociales défavorisées alors que le pape s’attendait à ne voir que des chevaliers, fils de familles nobles.
En réalité, la situation est désastreuse dans les campagnes en ce début de millénaire en raison d’une succession de mauvaises récoltes, de famines et d’épidémies. En partant en croisade, les paysans et artisans espèrent échapper à cette situation. C’est pour cette raison qu’on assiste à une véritable vague migratoire de 40.000 hommes, femmes et enfants qui vaut à cette campagne qui se déroule parallèlement à la croisade des chevaliers, le surnom de « croisade populaire ».
Une autre conséquence inattendue de l’appel du pape est la naissance d’un vaste mouvement contre le judaïsme. Les chrétiens ne différencient pas réellement musulmans et Juifs et préfèrent souvent combattre un ennemi à portée de main plutôt que de partir en Terre Sainte, un voyage périlleux et surtout onéreux. C’est ainsi que les communautés juives de France mais également d’une partie de l’Allemagne sont persécutées en marge de la première croisade. Les croisés peuvent ainsi non seulement « remplir leurs devoirs de chrétiens » mais également s’emparer des biens des familles juives souvent riches.
Le 15 août 1096, les croisés venus des quatre coins du pays prennent la route en direction de Jérusalem. Le périple s’accompagne souvent d’actes de pillage, parfois de massacre voire de cannibalisme lors des sièges des villes musulmanes.
Ils arrivent finalement aux portes de Jérusalem le 7 juin 1099. La ville tombe entre leurs mains le 15 juillet. Entre 10.000 et 50.000 musulmans sont tués durant l’assaut final et dans les jours qui suivent. Si la plupart des croisés retournent chez eux, le devoir accompli, d’autres restent sur place et Godefroy de Bouillon devient prince de Jérusalem et « Avoué du Saint-Sépulcre ».
Quatre « États latins d’Orient » sont créés à l’issue de cette première croisade, le royaume de Jérusalem, le comté de Tripoli, le comté d’Édesse et la principauté d’Antioche. D’autres États seront fondés au cours des croisades suivantes.
Au total, les chrétiens d’Occident vont participer à neuf croisades entre 1096 et 1291, date de la victoire des musulmans contre les croisés lors du siège de Saint-Jean-d’Acre, l’une des dernières possessions latines en Orient. A partir de cette date, les autres positions tenues notamment par les Templiers sont rapidement abandonnées par les chrétiens.
Le rôle des femmes au Moyen-Âge
Les écrits médiévaux évoquent peu les femmes et leur rôle dans la société. A cette époque, le célibat des femmes est mal considéré et elles n’ont donc d’autres choix que de se marier, souvent très jeunes, ou d’entrer en religion.
Elles vivent dès lors dans l’ombre et sous l’autorité de leur époux ou entre les murs d’une abbaye ou d’un couvent.
Cette situation ne veut cependant pas dire qu’elles n’ont joué aucun rôle politique. Derrière de nombreux rois, on retrouve des femmes de caractère qui participent au pouvoir. Les reines carolingiennes sont même considérées comme les égales de leurs époux qu’elles accompagnent dans ses déplacements et campagnes militaires. En cas de veuvage, ces reines deviennent bien souvent régentes du pays.
Les reines et les femmes de la noblesse font preuve de beaucoup d’intelligence et de diplomatie et se substituent parfois à leurs maris fort occupés par la guerre, la chasse ou d’autres activités moins glorieuses.
Un autre moyen pour les femmes d’obtenir de l’importance est de rentrer en religion. Au sein du couvent, les jeunes filles issus des classes aisées mais également de moins bonnes origines peuvent s’affirmer grâce à leur caractère et leur culture. Elles ont également accès à des connaissances scientifiques et ont la permission d’étudier l’histoire, la philosophie, la médecine, …
Les abbesses jouent un rôle actif au sein de l’Église
Les femmes moins fortunées ne sont pas moins bien considérées et la plupart des épouses d’artisans et de commerçants savent lire, écrire et compter. Elles se chargent également de l’éducation de leurs enfants. Ceux-ci sont cependant destinés à des rôles bien différents et si les garçons aident leur père, les filles apprennent à filer, à broder et à tenir la maison.
De même, les filles peuvent se fiancer à 7 ans et se marier à 12 ans, âge de leur majorité, tandis que les garçons doivent atteindre leurs 14 ans pour convoler en justes noces. Ces mariages souvent arrangés, principalement dans les familles nobles, servent souvent à tisser des liens entre deux familles ou à résoudre des conflits ce qui explique les grandes différences d’âge qui existent parfois entre les époux. Les filles sont dotées par leurs parents afin de payer leur entretien.
Les hommes ont le droit de châtier leurs femmes, de les répudier si elles ne leur donnent pas d’enfants voire de les tuer en cas d’infidélité. Cependant, si le divorce est interdit, bon nombre de nobles se séparent officieusement. Les époux vivent alors dans des demeures séparées ou les femmes prennent le voile.
Paradoxalement, les femmes du Moyen-Âge jouent un rôle bien plus important que durant la Renaissance. En effet, à partir du milieu du 12ème siècle, les femmes perdent progressivement leur influence lorsque le roi s’entoure de conseillers et lorsque le clergé enlève une grande partie des privilèges et pouvoirs des religieuses.
Les femmes croisées
Lorsque la première croisade est lancée par Urbain II, des femmes décident de participer à cette campagne ce qui n’est pas étonnant puisqu’il est d’usage à cette époque que les femmes suivent leurs époux.
Elles ne se contentent pas de jouer un rôle passif et certaines croisées se font remarquer durant les batailles notamment en soutenant moralement les hommes ou en assurant le ravitaillement et les soins aux blessés. Elles vont également combattre avec courage, maniant habilement l’épée ou égorgeant sans crainte les Sarrasins.
Les croisées ne sont pas toutes des épouses qui souhaitent accompagner leurs époux. On rencontre également des veuves ou des sœurs converses.
Des femmes se distinguent à chaque croisade et on retrouve sur les routes des nobles dames comme les comtesses d’Anjou, de Blois, de Toulouse ou de Flandre ou encore la reine de France Aliénor d’Aquitaine qui participe à la deuxième croisade.
Certaines d’entre elles perdent la vie en combattant aux côtés de leur mari comme Florine de Bourgogne tuée en même temps que son époux Sven le Croisé par les Turcs. Elle n’avait que 14 ans.
Alphonse de Poitiers, frère du roi de France Louis IX et son épouse Jeanne de Toulouse décèdent à quelques jours d’intervalle sur le chemin du retour alors qu’ils ont participé avec vaillance à la croisade de 1267. D’autres femmes succombent à des maladies, sont faites prisonnières, sont enfermées dans des harems ou sont mises à mort.
Même si elles sont nombreuses, toutes les femmes n’accompagnent pas leurs maris aux croisades. Cependant, les épouses, mères et sœurs restées au pays vont indirectement profiter de ces campagnes pour sortir de leur rôle effacé.
Pendant l’absence des hommes, il faut s’occuper des champs, des domaines, des commerces ou défendre les châteaux contre les attaques de seigneurs ou de vassaux qui veulent profiter de la situation. Elles exercent également des droits comme la justice, la levée des impôts et reçoivent les hommages des vassaux ou prêtent fidélité à leurs seigneurs. Elles se révèlent souvent de meilleures médiatrices que les hommes et leur pouvoir grandit tout en douceur.
Il est temps également de faire tomber un autre mythe, celui des ceintures de chasteté que les maris auraient imposé à leurs femmes durant leurs absences. Et si certains musées présentent encore dans leurs collections ce type de ceintures en métal, n’y voyez que des « objets de curiosité » fabriqués vers le 18ème siècle pour alimenter une légende. Celle-ci serait née de la mention de « ceinture de chasteté » dans des écrits médiévaux qui font en réalité référence à la fidélité en des termes métaphoriques.
Lorsque les premiers États latins d’Orient sont fondés, des épouses de croisés restées en France les rejoignent et s’installent à Antioche, Tyr, Tripoli …. des villes où règnent la douceur de vivre et le luxe même si les menaces restent permanentes.
La visite
Si vous projetez de visiter le château de Versailles, n’hésitez pas à découvrir les cinq « Salles des Croisades » situées dans l’aile nord.
Ouvertes en 1837 lors de l’inauguration du « Musée dédié à toutes les gloires de la France » par Louis-Philippe, ces salles regroupent plus de cent tableaux exposés dans un décor monumental conçu et fabriqué dans le but de les mettre en valeur.
Les boiseries portent les armoiries et les noms des chevaliers qui ont pris part aux trois premières croisades. Or, de nombreuses familles qui souhaitaient profiter de cet aura ont établi des faux documents afin de « prouver » que leurs ancêtres ont bien participé aux croisades.
Cette supercherie a été découverte et révélée en 1956 par l’historien spécialisé dans l’étude du Moyen-Âge, Robert-Henri Bautier. Dès lors, il est difficile de déterminer avec précision la part d’imposture.
Quoiqu’il en soit, vous ne trouverez pas à Versailles les noms des femmes croisées qui ,elles, étaient pourtant bel et bien présentes en Terre Sainte.
En pratique :
Le Château de Versailles est accessible tous les jours sauf le lundi de 9 à 18hr30.
Les jardins sont ouverts gratuitement tous les jours excepté pendant les spectacles payants des Grandes Eaux et des Jardins Musicaux ou en cas de conditions météorologiques exceptionnelles.
Des fauteuils roulants et des ascenseurs sont à la disposition des personnes à mobilité réduite
Château de Versailles
Place d’Armes
78000 Versailles
Tel : 01 30 83 78 00
Site web : http://www.chateauversailles.fr