La chapelle Sainte Libaire - Grand, Vosges - ©Mireille Grumberg via communes.com

Grand, importante cité Gallo-Romaine des Vosges

Si les villes de Narbonne, d’Orange, de Tongres, de Trèves ou encore de Nîmes sont bien connues pour avoir été d’importantes cités gallo-romaines, il y en a d’autres, plus discrètes, qui ont fait couler beaucoup moins d’encre mais qui sont tout aussi remarquables.

Aujourd’hui, nous vous proposons de partir dans les Vosges, à la découverte du site archéologique de Grand, en région Grand Est.

Un peu d’histoire

Au cours du 1er millénaire avant JC, des tribus celtiques issues des civilisations de Hallstatt et de La Tène migrent vers l’ouest et s’installent dans la plus grande partie de la France actuelle.
Après la conquête des Gaules vers le milieu du premier siècle avant notre ère, ces régions désormais intégrées dans l’Empire romain sont partagées en quatre provinces par Auguste.
Les Vosges font partie de la Gaule belgique qui réunit au total une vingtaine de peuples dont les Leuques installés au sud-est de cette province impériale.

En raison du climat et du relief accidenté de la région, l’habitat ne s’y développe que modérément. Pour les mêmes raisons, les voies romaines sont également peu nombreuses. Seule la route menant de Lyon à Trèves permet la naissance de plusieurs grandes villes économiquement puissantes dont Solimariaca (actuellement Soulosse-sous-Saint-Elophe) ou encore Escles.

A la même époque, une cité est fondée dans la région, légèrement décentrée par rapport aux voies de communication ce qui est assez inhabituel. On y vénère le dieu celtique Grannos, une divinité solaire parfois identifiée comme Belenos.
Grand devient un important centre religieux et est doté des monuments gallo-romains traditionnels, thermes, théâtre, forum, … et -peut-être- d’un temple dédié à Apollon Grannus.
En effet, Belenos-Grannos est assimilé à Apollon à l’époque gallo-romaine. Si ce dieu des arts, de la beauté, de la purification, de la guérison et de la lumière est d’origine grecque voire anatolienne, il a déjà été adopté depuis longtemps par les Romains sans changement de nom.

Andesina sur la Table de Peutinger

Vers la fin du 15ème siècle, le poète humaniste allemand Conrad Celtes découvre, dans la bibliothèque où il travaille, une carte établie probablement deux siècles plus tôt et représentant les grandes voies militaires romaines.
Il la lègue à un de ses amis, passionné par l’Antiquité, Konrad Peutinger.
Peutinger décède en 1547 soit 51 ans avant la publication de la carte par l’Anversois Abraham, sous le nom de « Table de Peutinger ».

Celle-ci tombe dans l’oubli jusqu’en 1714. Après sa redécouverte, elle est offerte au prince François-Eugène de Savoie avant d’être rachetée et archivée dans la bibliothèque impériale par l’empereur du Saint-Empire romain germanique Charles III de Habsbourg.

La table de Peutinger se présente sous la forme de 11 parchemins (il devait y en avoir un douzième à l’origine) qui mis bout à bout forment une bande de près de 7 mètres de long sur 34 centimètres de haut.
Au total, 200.000 kilomètres de routes sont représentés et la plupart des cités, cours d’eau, forêts et montagnes sont également illustrés sur ce document inestimable.

On ignore totalement l’histoire de cette carte qui est une compilation des différentes cartes romaines du 1er siècle de notre ère ainsi que de quelques ajouts des 4ème et 5ème siècles. Elle était peut-être utilisée par un marchand au cours de ses déplacements.
Elle fait actuellement partie des collections de la Bibliothèque nationale autrichienne.

Parmi les 550 villes reprises sur la carte, la ville d’Andesina (ou Indesina) située au nord de Toul, sur la route reliant Reims à Metz, correspond vraisemblablement à la ville de Grand.
En effet, ce nom est écrit au-dessus du symbole d’une source (un bâtiment entourant une pièce d’eau de forme carrée), probablement celle de l’Ornain localisée à Grand.

On peut donc en conclure sans trop s’avancer qu’Andesina est une cité fondée par les Leuques qui a bénéficié de la période gallo-romaine pour se développer et qui correspond à l’actuelle ville de Grand. Les historiens estiment qu’à son apogée, cette cité antique comptait approximativement 20.000 habitants. Comme tous les centres religieux, elle profite d’un véritable âge d’or durant l’Antiquité et, selon certains écrits (non vérifiés) reçoit même la visite de plusieurs empereurs romains.

La fin de l’empire romain et le Moyen-âge

Cette période d’opulence ne résiste pas au déclin de l’Empire romain, vers la fin du 3ème siècle. Les régions de l’est de la France sont aux premières loges lorsque les peuplades germaniques franchissent les frontières et effectuent des raids dévastateurs. Les Romains qui sont confrontés à des conflits et des guerres civiles en Italie ont laissé ces régions lointaines quasi sans protection. Alamans, Francs, Alains, Vandales et Huns mettent tour à tour la région à feu et à sang.
Les Francs s’imposent petit à petit et s’installent de part et d’autre du Rhin.

Sainte Libaire

Parallèlement, le christianisme tente de s’implanter en Europe lorsque Flavius Claudius Julianus, ancien César des Gaules, devient empereur en 361.
Bien qu’il soit issu d’une famille chrétienne, Julien prône un retour au polythéisme. Après avoir promulgué un édit de tolérance vis-à-vis des différentes religions, il prend quelques mesures contre les chrétiens, leur interdisant notamment l’enseignement de plusieurs disciplines. Il ne s’agit pas réellement de persécution mais plus d’indifférence. Il se justifie en disant qu’il espère que les chrétiens qu’il appelle « Galiléens » reconnaîtront par eux-mêmes leurs erreurs.

Julien entend donc rétablir le culte païen en Gaule et, selon la légende, il est de passage à Grand en 362 lorsqu’il ordonne la destruction des églises. C’est alors qu’il rencontre une jeune fille nommée Libaire et, conquis par sa beauté, tente de lui faire abandonner la foi chrétienne. La jeune fille brise alors une statue d’Apollon avec une quenouille, déclenchant la fureur de l’empereur qui n’hésite pas à lui trancher la tête.
Libaire aurait alors ramassé et placé dans un suaire sa propre tête qui a ensuite été ensevelie par des fidèles. Aussitôt une source miraculeuse aurait jailli sous la basilique. Canonisée, Libaire (parfois appelée Lievière) est une sainte céphalophore fêtée principalement en Lorraine. Ses frères Euchaire et Elophe ainsi que ses sœurs Ode, Menne, Suzanne et Gontrude sont également des martyrs chrétiens tués sous le règne de Julien.

Le déclin de Grand

N’étant plus considérée comme site religieux après la chute de l’empire, la ville de Grand trop éloignée des voies de communication est peu à peu abandonnée. La population tombe sous les 500 âmes durant le Moyen-Âge. Petit à petit, l’ancienne cité gallo-romaine tombe dans l’oubli et plus personne ne se rappelle qu’autrefois, le petit hameau était une cité florissante. On n’en trouve qu’une seule mention dans un écrit du théologien et abbé de Notre-Dame de Deutz, à Cologne, au 12ème siècle, Rupert de Tuy.

Un site archéologique remarquable

Au 19ème siècle

Il faut attendre le 19ème siècle pour que l’importance de Grand soit redécouverte. Alors qu’il n’est que général, Napoléon Bonaparte mène la « Campagne d’Égypte » qui a pour but de bloquer la route commerciale vers les Indes aux Britanniques .

Cette campagne militaire s’accompagne d’une mission scientifique et c’est pour cette raison que la « Commission des sciences et des arts » est fondée en mars 1798. De nombreux ingénieurs historiens, artistes, interprètes et scientifiques sont sélectionnés pour faire partie de l’expédition. Ils sont chargés d’établir un descriptif détaillé de l’Égypte qui sera ensuite édité en une vingtaine de tomes et intitulé :

Description de l’Égypte, ou Recueil des observations et des recherches qui ont été faites en Égypte pendant l’expédition de l’Armée française.

Au sein de cette équipe, se trouve un ingénieur appelé Jean-Baptiste Prosper Jollois qui est notamment présent lors de la découverte du tombeau d’Amenhotep III et qui a contribué à la rédaction du recueil.
A la fin de la campagne, il est nommé ingénieur en chef dans les Vosges. Son expérience acquise auprès des historiens et archéologues en Égypte l’incite à s’intéresser aux vestiges romains de Grand répertoriés un demi-siècle plus tôt par l’ingénieur des ponts et chaussées Le Gendre..
C’est ainsi que l’un des plus importants sites archéologiques de France est redécouvert en 1820.
Jollois passe ensuite le relais au Musée départemental des Vosges.
Malheureusement, le site n’obtient son classement comme Monument Historique qu’en 1846 et sert entre-temps de carrière de pierres aux habitants de Grand.
Après plus d’un demi-siècle de fouilles, la basilique est mise au jour par Félix Voulot, ancien professeur de collège passionné par l’histoire de la région vosgienne devenu conservateur du musée en 1878.

Au 20ème siècle

Les campagnes de fouilles se poursuivent au 20ème siècle et de nombreux historiens s’intéressent enfin à ce site majeur de l’Antiquité. L’étude des vestiges et l’existence d’une source les poussent à penser qu’en ce lieu devait se trouver un important sanctuaire dédié à Apollon Grannus mais celui-ci n’a, à ce jour, pas encore été retrouvé.
Rappelons que les Gaulois et plus tard les Gallo-Romains vouaient un véritable culte aux rivières et aux sources. Les archéologues ont en effet découvert de nombreuses traces d’anciens sanctuaires édifiés sur les sites de sources sacrées ainsi qu’un grand nombre d’ex-votos déposés en ces lieux. Les habitants des environs venaient donc se recueillir et implorer la divinité de la source. On dénombre plus d’une centaine de déesses et de dieux protecteurs de ces sources. Ils portent pour la plupart des noms d’origine celtique comme Moritasgus, Borvo, Nehalennia et bien entendu Grannus. Par la suite, des dieux romains se sont ajoutés à cette liste ou ont été associés aux dieux gaulois.
Il serait donc logique qu’un sanctuaire consacré à Apollon Grannus a bien été fondé à proximité de la source de l’Ornain.
Cette hypothèse ne s’appuie cependant sur aucun document ou vestige et n’a donc pas encore pu être confirmée.

Grand la Gallo-romaine

Sanctuaire Gallo-Romain de Grand – ©Le Pays lorrain : revue régionale bi-mensuelle illustrée / dir. Charles Sadoul – Société d’histoire de la Lorraine / Musée lorrain (Nancy) – Gallica Bibliothèque Nationale de France

Comme nous l’avons déjà dit, la cité de Grand compte approximativement 20.000 habitants à l’époque gallo-romaine ce qui fait d’elle une ville de moyenne importance. Les habitations comme les édifices publics sont fortement influencés par Rome.
On a retrouvé le tracé de luxueuses domus dans les quartiers résidentiels ainsi que de villae en périphérie du site.
L’eau est acheminée dans la ville par des galeries creusées à plusieurs mètres de profondeur. Plus de 300 puits alimentent les habitants de Grand en eau potable.
Le centre de la cité est entourée d’une vaste enceinte en forme de polygone irrégulier. A l’origine, cette muraille mesure 6 mètres de haut pour une épaisseur moyenne de 2,7 mètres. Elle est creusée de portes, flanquée de tours et sert à délimiter un espace d’environ 18 hectares où se concentre la majorité des monuments traditionnels.
Plusieurs hypothèses ont été émises concernant sa fonction. Défense contre des attaques extérieures ou protection de la résurgence de la source, rien de confirme ces thèses.

L’amphithéâtre

Seul l’amphithéâtre se trouve en dehors de cette enceinte.
Construit au 1er siècle de notre ère, l’amphithéâtre de Grand a une capacité d’accueil de 17.000 spectateurs ce qui témoigne de l’importance de la cité puisqu’il se classe parmi les dix plus grands du monde romain.
Il s’agit plus précisément d’un semi-amphithéâtre mesurant 148 mètres sur 64,50. Son arène est de forme elliptique. Seul le côté sud semble équipé de gradins (cavea) partagés en trois volées (maeniana). Dans un premier temps, les historiens ont pensé qu’il s’agissait d’un théâtre mais il est aujourd’hui certain que le côté nord était autrefois également muni d’une unique rangée de gradins. Les gladiateurs et animaux pénètrent dans l’amphithéâtre depuis les salles de service en empruntant des entrées voûtées (parodoi).
Un podium destiné à accueillir les personnalités et différents autels dédiés à Diane, Némésis et Jupiter s’élèvent également autour de l’arène.

Afin de préserver le site, de permettre aux visiteurs de mieux se rendre compte de son aspect originel et d’accueillir environ 4.500 spectateurs, une série de gradins en bois imputrescible a été posé dans les années 1990.

La mosaïque

Mosaïque du site archéologique de Grand – ©Mireille Grumberg via Communes.com

Le site archéologique de Grand a également révélé un autre trésor de l’époque romaine, une gigantesque et remarquable mosaïque datée du 2ème siècle après JC.
C’est à la fin du 19ème siècle, en 1873, qu’un morceau de cette œuvre est découvert sous la « Maison des Sœurs » de Grand. Une décennie plus tard, le conservateur du musée d’Épinal, Félix Voulot entreprend de la mettre au jour. Pour cela, il faut enlever une couche de terre d’une épaisseur de deux mètres qui la recouvre entièrement.
Depuis, on peut admirer in situ une mosaïque de 232 m² qui couvre entièrement une pièce située sous la basilique gallo-romaine de Grand. N’oublions pas qu’à cette époque, la basilique n’est pas un monument religieux mais bien un édifice civil servant notamment aux réunions publiques et comme salle de tribunal.
Afin de préserver cet ensemble d’une valeur historique inestimable, les tesselles sont reposées sur un nouveau support plus stable et sont recouvertes d’un bâtiment permettant aux visiteurs de le contempler sans l’abîmer. Les objets découverts durant les fouilles sont exposés dans des vitrines disposées autour de la mosaïque.

La mosaïque polychrome se compose de tesselles en calcaire posées sur un fin mortier de chaux. Les matériaux utilisés ont une origine locale et il semble donc certain que la mosaïque a été réalisée sur place et non dans un atelier.
La pièce dans laquelle on a retrouvé la mosaïque est décorée à l’aide de matériaux luxueux dont de nombreuses variétés de stucs et de marbres importés notamment de Grèce.

Le motif central de la mosaïque a malheureusement été fortement endommagé. On peut néanmoins supposer qu’il représente une scène extraite du « Phasme » (ou Fantôme) du dramaturge grec du 4ème siècle avant JC, Ménandre.
Ce motif est entouré de différents motifs géométriques et végétaux disposés en bandes pour former l’encadrement du « tapis central».
La présence d’un tigre, d’une panthère, d’un ours et d’un sanglier représentés aux quatre coins de la mosaïque évoque peut-être les combats d’animaux qui se déroulaient dans l’amphithéâtre.

La visite

Loin des grands sites touristiques, le petit village de Grand qui compte un peu moins de 400 habitants surprend ses visiteurs par la richesse d’un patrimoine insoupçonné.

Le site gallo-romain de Grand est accessible au public de mars à la mi-novembre :

  • tous les jours sauf le lundi de 14 à 17 hr en mars, octobre et novembre
  • tous les jours sauf le lundi de 10hr à 12hr30 et de 13hr30 à 18hr30 en avril, mai, juin et septembre
  • tous les jours de 10hr à 12hr30 et de 13hr30 à 18hr30 en juillet et août

Il est toutefois possible d’effectuer sur demande des visites de groupes (minimum 10 personnes) en dehors de ces horaires.
Le site n’est pas accessible aux animaux.

Outre l’amphithéâtre et la mosaïque de la basilique de Grand, sites incontournables des Vosges, vous pouvez également découvrir:

  • l’ancienne enceinte de Grand édifiée probablement entre le 1er et le 3ème siècle
  • les puits et galeries souterraines alimentant l’ancienne cité en eau
  • les vestiges d’anciennes habitations antiques regroupées dans les quartiers résidentiels et de villae (exploitations agricoles) situées à l’extérieur du site

Site web : http://www.culture.vosges.fr/sitedegrand/

Que manger dans la région ?

Visiter les Vosges implique obligatoirement la découverte de quelques spécialités régionales comme :

  • l’andouille du Val d’Ajol préparée à base de viandes de porc et d’échalotes marinées dans du vin blanc et fumée au bois de hêtre
  • le pâté de truites des abbesses
  • la salade vosgienne préparée avec des pommes de terres, des lardons et une vinaigrette à la crème fraîche
  • le râpé de pommes de terre frit avec du persil et des oignons, accompagné de salade verte
  • les knefes, une variante des spätzle ou des gnocchis accompagnant les viandes et le fromage
  • les tofailles, un plat mijoté composé de lard en tranches, de pommes de terre et d’oignons
  • l’omelette lorraine composée de lard, œufs, fromage, fines herbes et enrichie de crème. Elle se sert baveuse avec de la salade et des pommes de terre
  • et bien entendu la mirabelle proposée en confiture, tarte, eau-de-vie ou liqueur.
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