La fauconnerie, un art millénaire
Vous avez probablement déjà assisté à des spectacles mettant en scène des oiseaux de proie à l’occasion d’une fête médiévale ou d’une visite de monument historique.
Si vous avez été séduits par la grâce et la précision des aigles, des buses et des faucons, vous ne connaissez peut-être pas l’histoire d’un art qui a plus de 4.000 ans, la fauconnerie.
Aujourd’hui, nous vous proposons de partir à la découverte d’un métier qui renaît depuis quelques années de ses cendres.
Un peu d’histoire
La naissance de la fauconnerie en Asie
L’étude de gravures rupestres découvertes dans les plateaux d’Asie centrale a permis de déterminer que les hommes utilisent les oiseaux de proie pour chasser dès le 2ème millénaire avant notre ère.
Cette utilisation est probablement le résultat de l’observation de ces oiseaux qui s’emparent de leurs proies vivantes en les saisissant dans leurs serres.
De là à vouloir profiter de cette aptitude pour se nourrir, il n’y avait qu’un pas et les nomades qui parcouraient les steppes ont commencé à apprivoiser et à dresser des oiseaux. Cette technique est appelée « affaitement ».
La fauconnerie est développée notamment par les Scythes, un regroupement de peuples indo-européens, qui occupaient un vaste territoire situé entre l’Ukraine et la chaîne de l’Altaï, englobant la Russie et le Kazakhstan.
L’art de l’affaitement se transmet de génération en génération et, au Moyen-Âge, les Kirghizes en sont les dignes héritiers. Aujourd’hui encore, la tradition de la fauconnerie reste vivace en Asie.
L’exportation de la fauconnerie en Europe
Il est probable que les Grecs et les Romains ont assisté à la chasse au vol durant l’Antiquité mais rien n’indique qu’ils l’ont eux-mêmes pratiquée.
Il faut attendre le 5ème siècle et le déclin de l’Empire romain qui permet aux peuples germaniques d’envahir les provinces romaines des Gaules pour que la fauconnerie se développe réellement en Europe.
Très vite, la France devient l’un des principaux pays pratiquant ce type de chasse qui atteint son apogée au Moyen-Âge.
Elle fait dorénavant partie de l’enseignement dispensé aux jeunes nobles à l’instar du maniement des armes ou de l’art équestre. Dès le 8ème siècle, le vol d’un oiseau de proie est punissable. Charlemagne possède déjà un équipage de fauconnerie.
Des concours de chasse sont organisés notamment celui de la « Cour de l’Épervier » qui a lieu chaque printemps au Puy-en-Velay.
Les jeunes gens participent à différentes épreuves, chasses au vol, chansons et poèmes devant un jury composé des membres de la cour, probablement celle des vicomtes de Millau. Les juges désignent le meilleur troubadour qui devient « Seigneur de l’Épervier ».
Le plus connu d’entre eux est Pierre de Vic, un moine bénédictin appartenant à la famille des seigneurs de Castelvielh de Vic-sur-Cère qui abandonne son prieuré de Montaudon pour exercer son art à la cour du roi d’Aragon.
Les techniques
Les accessoires
La chasse au vol à l’épervier appelée « espreveterie » à l’époque médiévale requiert beaucoup d’adresse, une grande connaissance technique et un certain nombre d’accessoires comme le lacet attaché à la patte de l’oiseau pour l’entraver, appelé « gié ou jé », la courroie permettant de le lier appelée « longne ou longe » ou encore l’attache à deux anneaux appelée « tore ou touret » reliant le gié à la longne.
La chasse se fait à cheval et est pratiquée aussi bien par les hommes que par les femmes.
Le poète du 13ème siècle Gerbert de Montreuil évoque cette technique :
Li espreviers avoit un giés
Riches et biaus a desmesure,
Et si ot longnes a mesure,
Si vous dit bien que li torés
Estoit clercs et luisans et nes
D’un rubin rouge, che m’est vis,
Plus que nen est uns carbons vis.
A partir du milieu du 13ème siècle, un nouvel accessoire est utilisé par les maîtres des éperviers, le « chaperon » généralement en cuir et plus rarement en tissu qui recouvre la tête de l’oiseau. En le plongeant dans l’obscurité, le fauconnier parvient à calmer le rapace. Certains chaperons sont ornés de plumes disposées en aigrette ou en panache. Ils sont utilisés pour l’apparat, les chaperons restant plus sobres pour la chasse.
Un précieux traité
Un traité sur la fauconnerie écrit par l’empereur du Saint-Empire Frédéric de Hohenstaufen et intitulé « De arte venandi cum avibus » (De l’art de chasser avec des oiseaux) est publié en 1240. Le souverain veut ainsi apprendre la chasse aux oiseaux à son fils Manfred.
Cet ouvrage en six volumes aborde différents thèmes comme la description des oiseaux de proie et du gibier à plumes, l’affaitage des faucons et la chasse au moyen de ces oiseaux.
Il est traduit en français au 14ème siècle.
Ce livre est également considéré comme un véritable traité d’ornithologie, l’auteur s’étant employé à l’illustrer de dessins de plus de cent oiseaux et à décrire notamment la position de leurs ailes en vol.
L’un des rares exemplaires de ce traité est conservé à la Bibliothèque de Genève.
Le dressage
Un épervier bien dressé est dit « de bon aire ». Il doit revenir sans hésitation et rapidement sur le poing de son dresseur. Celui-ci le « réclame » en faisant des signes ou en criant, parfois en l’appâtant avec un morceau de viande. Il est alors dit « bien duit et appris ».
Entre l’oiseau et son maître s’établit une réelle complicité. Un faucon est attaché à une seule personne et lui témoigne de l’affection. Le dressage demande une grande patience mais celle-ci est ensuite récompensée par la fidélité de l’oiseau. La noblesse s’arrache les meilleurs fauconniers.
L’art de la fauconnerie a son vocabulaire et ses propres règles. Plus de 850 termes spécifiques désignant les oiseaux, l’affaitage et les accessoires ont été répertoriés. Certains d’entre eux sont passés dans le langage usuel comme prendre ou donner le change, chaperonner, de bon aire qui dérive en débonnaire, hagard qui au départ désigne un oiseau capturé sauvage, haute volée, leurrer ou encore niais qui fait référence à la capture d’un jeune oiseau.
La fauconnerie, un loisir réservé à l’élite
Si à l’origine, la fauconnerie est une simple technique de chasse utilisée pour survivre, elle va rapidement devenir un loisir apprécié par la noblesse et va même surpasser la vénerie.
Veneurs et fauconniers deviennent des rivaux ce qui donne lieu à une tradition pour le moins étrange. A la Sainte-Croix de mai, les veneurs chassent symboliquement à coup de gaule les fauconniers de la cour et à la Sainte-Croix d’hiver, les rôles s’inversent.
Seuls les chevaliers et nobles dames peuvent posséder un faucon. Les bourgeois ont cependant le droit de chasser à l’autour ou au milan.
Ce n’est donc pas étonnant que l’attirail utilisé se pare de pierres précieuses et que les oiseaux reçoivent des attentions et des soins comparables à ceux réservés aux chevaux. Porter un épervier sur son poing est un signe de richesse et met en valeur le maître de ce bel oiseau. Il fait dès lors partie de la panoplie de ce qu’on appellera par la suite l’ « amour courtois », lorsque l’homme doit mériter les attentions de sa dame.
Les fauconniers présentent également leurs oiseaux afin de divertir les invités lors de grands banquets ou de fêtes données par l’aristocratie.
A la cour du roi, le « fauconnier maître » a la charge des « équipages de vol » du souverain.
Il est remplacé par le « grand fauconnier de France » en 1406, sous le règne de Charles VI dit le Fol. Le premier a exercé cette charge est Eustache de Gaucourt.
A la Renaissance, le grand fauconnier est à la tête d’une équipe d’une centaine de gentilshommes et d’aides-fauconniers.
A partir de cette époque, la renommée de la fauconnerie française dépasse les frontières. Elle atteint son apogée au début du 17ème siècle.
Le roi Louis XIII possède six équipages spécialisés chacun dans un type de vol (héron, perdrix, …). au total 300 oiseaux de proie composent la « Grande fauconnerie » royale.
Parallèlement, le souverain possède ses propres rapaces appelés les « Oiseaux du cabinet du Roi » qui le suivent dans tous ses déplacements.
Le déclin
La chasse a été l’un des principaux passe-temps des rois et des cours européennes ce qui explique le succès de la fauconnerie. Cependant, vers la fin du 17ème siècle, les faucons sont peu à peu délaissés au profit des armes à feu.
Malgré cette perte d’intérêt, la Fauconnerie royale française ainsi que celle du Cabinet du Roi continuent à exister pendant encore plus d’un siècle.
La Révolution marque son arrêt de mort lorsque la Convention nationale supprime la fonction de fauconnier et interdit la pratique de ce type de chasse, ancien privilège du roi et de ses courtisans.
Le dernier grand fauconnier est le comte Joseph-Hyancinthe-François-de Paule Rigaud de Vaudreuil, qui exerce cette fonction de 1780 à 1789.
A partir de cette date, seuls quelques passionnés ou nostalgiques du temps passé exercent cet art qui bien qu’interdit reste toléré.
Et aujourd’hui ?
Il faut attendre la fin de la Seconde Guerre Mondiale pour que la fauconnerie retrouve un peu de son aura d’autrefois.
L’ « Association nationale des fauconniers et autoursiers français » est fondée sur l’initiative d’Abel Boyer afin de réhabiliter cette technique de chasse.
L’autourserie désigne le « bas vol », technique consistant à retenir l’oiseau (aigle, autour ou épervier) sur le poing avant de le lancer à la poursuite du gibier à plumes ou à poils selon le type d’oiseau. Un aigle royal peut ainsi attaquer un chevreuil tandis que l’épervier est dressé à attraper de petits oiseaux de type passereaux.
Contrairement à l’autourserie, la chasse au « haut vol » se déroule alors que l’oiseau, généralement un faucon, est déjà en vol au-dessus de son maître. Il fond à toute vitesse sur sa proie dès que celle-ci s’envole. Le haut vol ne se pratique que sur du gibier à plumes car la vitesse de l’attaque ne permet pas aux faucons de se saisir d’une proie au sol.
Depuis 1954, la chasse au vol est à nouveau autorisée légalement en France.
A l’heure actuelle, des associations de fauconniers existent aux quatre coins du monde. Les techniques n’ont quasi pas évolué depuis l’époque médiévale. Si chaque pays possède quelques réglementations spécifiques, les normes sont à peu près partout pareilles car elles sont liées à des conventions internationales, notamment en ce qui concerne le choix des oiseaux de proie. En effet, un grand nombre d’entre eux font aujourd’hui partie des espèces protégées.
L’ « International Association for Falcony and Conservation of Birds of Prey », ou « IAF », compte plus de 20.000 membres répartis en 80 associations originaires de 57 pays.
La fauconnerie reste cependant un loisir coûteux.
Depuis 2010, l’art de la fauconnerie est inscrite sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO. Il est définit comme :
activité traditionnelle qui consiste à conserver et dresser des faucons et autres rapaces pour attraper du gibier dans son environnement naturel.
Si la chasse reste l’activité principale des fauconniers, beaucoup d’entre eux donnent également des spectacles ou participent à des programme de protection et d’élevage en captivité d’espèces en danger d’extinction.
Enfin, les oiseaux dressés sont également utilisés pour l’ « effarouchement » qui consiste à éloigner naturellement les oiseaux notamment des champs cultivés ou des terrains d’aviation. La seule présence d’un faucon ou d’une buse suffit à disperser les pigeons, mouettes ou étourneaux des zones à protéger.
La même technique est utilisée pour les tenir à l’écart de monuments historiques qui sont trop souvent abîmés par les fientes des oiseaux.
Dès l’époque médiévale, le bien-être de l’oiseau de proie est une priorité pour son maître. Cette notion est toujours d’actualité et doit être bien comprise par toutes les personnes qui souhaitent devenir fauconniers.
L’ANFA rappelle que :
- l’oiseau n’est pas un outil qu’on utilise quand on en a envie
- l’oiseau n’est pas un animal de compagnie (NAC)
- l’oiseau demande des soins quotidiens fournis par quelqu’un qui peut juger de son état physique et psychologique
- la fauconnerie n’est pas synonyme de collection : il faut pouvoir accorder aux oiseaux suffisamment de temps afin de leur offrir de bonnes conditions de vie et de vol.
Association Nationale des Fauconniers et Autoursiers Français
13 rue Général Leclerc
92136 Issy-les-Moulineaux
Site web : http://www.anfa.net/fr