Les Dentellières
La dentelle est un tissu réalisé sans trame ni chaîne à la main ou à la machine et formant un dessin parfois complexe. Originaire de l’Italie, la dentelle est très vite devenue une spécialité du Nord de la France, de l’Angleterre et de la Belgique.
Les techniques et les points utilisés diffèrent d’une région voire d’une ville à l’autre.
Un peu d’histoire
A la fin du Moyen-Âge, la noblesse italienne souhaite sortir de l’obscurantisme et profite de la situation géographique de l’Italie, à la croisée des routes commerciales entre l’Europe et l’Asie, pour s’enrichir et adopter un nouveau mode de vie.
C’est ainsi que débute la Renaissance italienne. Les villes toscanes de Florence et de Sienne deviennent les premières cités à développer ce mouvement à la fin du 14ème siècle. Il va rapidement s’étendre aux autres villes, notamment Venise et Rome.
D’abord économique, le phénomène de la Renaissance touche rapidement l’art. En effet, les cités rivalisent entre elles afin de se montrer plus riches et plus puissantes. Elles attirent dans leur sphère les plus grands artistes, écrivains et philosophes et se parent de monuments fastueux.
Michel-Ange, Raphaël, Léonard de Vinci ou encore Machiavel participent à la splendeur de l’Italie des 15ème et 16ème siècles.
Ce raffinement touche également la mode vestimentaire et les hommes comme les femmes appartenant aux classes sociales supérieures ont à cœur d’étaler leur richesse en portant des habits richement ornés de passements.
La passementerie devient dès lors une véritable industrie produisant des cordons, des lacets, des rubans, des franches et des galons. Des fils d’or, d’argent et de soie sont utilisés pour broder les vêtements et pour confectionner les différents ornements.
Des nouveautés sont proposées régulièrement par les passementiers et c’est ainsi que la dentelle fait son apparition entre la fin du 15ème siècle et le milieu du 16ème siècle. C’est probablement à Venise que la technique permettant de créer ce tissu aérien a été inventée. Elle s’inspire cependant de la broderie à l’aiguille déjà connue en Orient.
La dentelle italienne connaît un succès immédiat et devient le symbole de la réussite sociale. Elle s’exporte rapidement dans les autres pays, notamment en Belgique et en France où des artisans locaux inventent leurs propres points.
En France, la dentelle fait son entrée à la cour royale sous l’impulsion de Catherine de Médicis, épouse d’origine florentine du Roi Henri II.
Le Colbertisme
Au 17ème siècle, Jean-Baptiste Colbert ministre et Contrôleur général des Finances de Louis XIV met en place une économie basée sur une forme de mercantilisme afin d’augmenter la richesse du pays.
Ce système appelé « colbertisme » favorise notamment le commerce et l’industrie qui profitent d’une politique protectionniste.
Colbert souhaite également privilégier le savoir-faire des artisans et la qualité des produits de luxe comme la porcelaine, le verre ou la dentelle. Versailles devient une véritable vitrine du raffinement à la française.
Pour atteindre son objectif, il crée ou développe des grandes manufactures royales qui participent à la renommée de la France comme la manufacture des Gobelins ou la Manufacture royale de glaces de miroirs (actuelle Compagnie de Saint-Gobain). La dentelle, qu’elle soit réalisée aux fuseaux ou à l’aiguille, bénéficie également du colbertisme et la manufacture royale d’Alençon est créée en 1665.
De nombreuses autres villes françaises deviennent célèbres pour leur dentelle. C’est notamment le cas de Lille, de Valenciennes ou de Bayeux.
La mécanisation et le déclin de la dentelle
La révolution française met en péril l’industrie de luxe et de nombreuses manufactures sont contraintes de fermer leurs portes.
Au 19ème siècle, l’accession de Napoléon Bonaparte au pouvoir favorise le retour de la dentelle. Cependant, le costume masculin devenu sobre ne permet plus aux hommes de porter une profusion de passements. C’est ainsi que la dentelle devient l’apanage des femmes.
A la même époque, l’industrie connaît une véritable révolution avec l’apparition de la mécanisation et, par conséquent, de la production de masse à moindre coût salarial.
Les premières machines à tisser la dentelle « Leavers » inventées en Angleterre débarquent à Calais vers 1820. Des ouvriers anglais qui connaissent le fonctionnement de ces métiers s’installent avec leurs familles dans la région.
Parallèlement, le Lyonnais Joseph Marie Jacquard met au point un métier à tisser programmé à l’aide de cartes perforées ce qui diminue encore le nombre d’ouvriers nécessaire à son utilisation.
Très vite, les dentelles mécaniques calaisiennes proposées à des prix plus démocratiques connaissent un énorme succès et la ville profite pleinement de la situation.
Même si les dentelles à la main restent prisées par les plus fortunés, elles peinent à les concurrencer et le nombre de dentellières diminue fortement. La mécanisation provoque en conséquence un véritable drame social dans de nombreuses villes françaises.
Durant la seconde moitié du 19ème siècle, le métier de dentellière décline rapidement et si aux alentours de 1850, on recense encore près de 250.000 femmes vivant de cette activité en France, elles ne sont plus que 100.000 à l’aube du 20ème siècle. La situation est tout aussi dramatique en Belgique.
Les jeunes filles délaissent une profession peu rentable et dont l’avenir est de plus en plus incertain.
L’État tente de redorer le blason de la dentelle à la main par le biais de salons et d’expositions et par l’ouverture de nouvelles écoles de dentellières afin de transmettre le savoir-faire aux nouvelles générations.
Malheureusement, la Première Guerre mondiale anéantit cette ambition et la plupart des écoles ne survivent pas à cette période difficile.
La dentelle à la main moribonde bénéficie cependant d’un programme visant à sa survie. En 1976, un Atelier Conservatoire national est créé au Puy-en-Velay. D’autre initiatives privées voient le jour en France mais également en Belgique et en Angleterre afin de permettre aux dernières dentellières de transmettre leur savoir-faire lors de stages ou de cours. La maîtrise de ces techniques demande 8 à 10 ans d’apprentissage.
Depuis les années 1980, on assiste à un lent retour d’intérêt pour cet art séculaire.
Ne pouvant rivaliser avec les prix des dentelles mécaniques, la dentelle à la main vise la perfection. Il faut en effet compter une journée de travail pour réaliser en moyenne 1 cm² de dentelle.
Les différentes techniques de la dentelle
La dentelle à l’aiguille
Alors que la mode vestimentaire devient de plus en plus complexe et que les vêtements se parent d’une multitude d’ornements durant la Renaissance italienne, les brodeuses rivalisent d’habileté pour ajourer des tissus. Pour cela, elles enlèvent des fils de trame et de chaîne de la toile afin de créer un motif de plus en plus aérien simplement encadré par les quelques fils restant.
Finalement, les brodeuses ont l’idée de créer le dessin sans support en bâtissant un encadrement et quelques diagonales sur un morceau de parchemin sur lequel est reproduit le motif.
Cette armature est maintenue en place par quelques fils transperçant le parchemin.
Ensuite, il suffit de remplir les vides à l’aide de points réalisés à l’aiguille qui, eux, ne traversent pas. le papier. Une fois le motif terminé, il reste à couper les points d’attache du bâti.
La dentelle est née et les dentellières libérées des contraintes d’un support peuvent laisser libre cours à leur imagination et créer des dentelles de formes les plus variées.
La dentelle aux fuseaux
La technique de la dentelle aux fuseaux apparaît également durant la Renaissance, probablement à Venise. Le fil de soie, de coton, de lin ou même de laine est enroulé autour des bobines des fuseaux en bois. Le motif reproduit sur un carton perforé ou sur un carreau (coussin à dentelle) se forme en croisant les fils qui sont maintenues à l’aide d’épingles piquées sur les dessins. Les épingles sont retirées après quelques centimètres.
Cette technique est plus complexe que la dentelle à l’aiguille et il faut avoir une certaine expérience pour exécuter un ouvrage de qualité.
Les dentellières les plus expertes peuvent manier jusqu’à 1.500 fuseaux pour un seul ouvrage qui demande parfois plusieurs centaines d’heures de travail.
La dentelle au crochet
Au 18ème siècle, un nouvel accessoire est utilisé pour réaliser des ouvrages à main, le crochet disponible en de nombreux diamètres. Cette petite tige de métal dont l’une des extrémités est recourbée permet notamment de réaliser une sorte de dentelle moins fine mais beaucoup moins onéreuse. Le crochet permet également des fantaisies comme l’ajout de perles ou de sequins et le changement de couleurs.
Le crochet est principalement utilisé pour réaliser des vêtements et du linge de maison comme les napperons, les rideaux ou les dessus de lit.
La dentelle frivolité
La frivolité est une dentelle exécutée à l’aiguille, à la navette voire au crochet en réalisant une série de nœuds et de picots pour former le motif. Des perles de rocaille ou swarovski sont souvent insérés à l’ouvrage.
On utilise généralement cette technique pour créer des accessoires, notamment des bijoux ou des parements de vêtements et des objets décoratifs.
La dentelle mécanique
Le premier modèle de métier permettant de réaliser mécaniquement de la tulle (tissu transparent en point de filet) est inventé en 1777 en Angleterre. Ce tissu fabriqué en lin était ensuite rebrodé afin d’imiter et de concurrencer la dentelle.
Il faut cependant attendre 1808 pour que le Britannique John Heathcoat perfectionne le système et propose son « métier bobin », plus rapide et produisant une tulle de meilleure qualité reproduisant parfaitement la dentelle.
Cette invention est à l’origine du conflit qui éclate dans le monde du textile opposant les manufacturiers aux artisans, dentellières, tisserands, tricoteuses, … , qui se sentent menacés par la mécanisation.
Les usines sont prises comme cibles et un grand nombre de métiers à tisser sont détruits au cours de la « Révolte des luddites » entre 1811 et 1812, en Angleterre.
Entre-temps, et malgré le contrôle des douanes françaises, un premier métier débarque clandestinement en France et plus précisément à Calais en 1809.
Afin de contourner l’interdiction de commerce avec l’Angleterre, les métiers arrivent en pièces détachées. Des Anglais capables de remonter et d’enseigner le fonctionnement des machines s’installent dans la région avec leurs familles.
En 1813, le métier de Heathcoat est amélioré par Leavers qui utilise le système de carte perforée mis au point par Jacquard créant ainsi e premier véritable métier à dentelle.
Les départements du Pas-de-Calais et de la Haute-Loire deviennent les principaux centres de production de dentelle mécanique en France.
Les principales dentelles françaises
- La dentelle d’Alençon est l’une des plus vieilles dentelles françaises. Elle voit le jour au début du 16ème siècle mais ce n’est qu’en 1660 que le « point d’Alençon » est créé.
- La dentelle blonde de Caen est fabriquée à partir du 18ème siècle en Normandie.
- La dentelle de Chantilly généralement exécutée en soie noire existe depuis le 17ème siècle. Elle connaît un vif succès et est portée notamment par la favorite de Louis XV, Madame du Barry, et par la reine Marie-Antoinette.
- La dentelle de Bayeux prend naissance au 17ème siècle dans les établissements de charité de la ville avant de devenir l’une des principales ressources de la ville au 18ème siècle. Les filatures de Bayeux produisent de la dentelle au fuseau en soie noire (Chantilly) ou en soie écrue (blonde de Caen).
- La dentelle du Puy-en-Velay est mentionnée dès le début du 16ème siècle. Elle est à l’origine de la création des « Béates », des femmes célibataires chargées notamment de s’occuper des dentellières et de leurs enfants.
La dentelle de Cluny est en réalité une dentelle fabriquée au Puy, probablement pour l’abbaye de Cluny. - La dentelle de Valenciennes est renommée pour sa finesse et sa grande variété de motifs dès le 18ème siècle.
- La dentelle de Calais-Caudry® est fabriquée mécaniquement depuis le début du 19ème siècle dans le nord de la France. Elle porte ce label depuis 2015.