Salines de Guérande @Maryanick Gaultier, Communes.com

Guerande et son sel

Même s’il est actuellement accusé des pires maux, le sel reste l’ingrédient indispensable pour relever nos plats. Utilisé avec parcimonie, il répond à nos besoins physiologiques et il suffit d’avoir la main légère pour profiter de ses bienfaits tout en évitant ses dangers.
L’histoire du sel remonte au Néolithique, lorsque les hommes découvrent qu’ils peuvent conserver leurs aliments plus longtemps en les plongeant dans du sel sec ou dans de la saumure.
Depuis cette lointaine époque, nous utilisons le sel non seulement en cuisine mais également pour l’agriculture et l’industrie.
Son importance se reflète par ailleurs dans les nombreuses expressions que nous utilisons régulièrement. Ne parlons-nous pas du sel de la vie ou du partage du pain et du sel. Et lorsque nous percevons notre salaire, c’est encore au sel que ce mot fait référence.

Aujourd’hui, nous vous proposons de nous suivre en Bretagne et de découvrir les célèbres marais salants de Guérande.

Un peu de géographie

Si vous observez la carte de la Bretagne, vous remarquez une avancée de terre dans l’océan Atlantique située au sud de la péninsule.
Il s’agit de la presqu’île guérandaise, un petit territoire où l’eau est omniprésent et joue un rôle économique primordial. Sa façade ouest baigne dans l’océan tandis que le marais de Brière, le marais du Mèset l’estuaire de la Loire bordent respectivement l’est, le nord et le sud de la presqu’île qui n’est reliée au continent que par un mince passage.
C’est dans l’estuaire de la Loire que les eaux douces du fleuve se mêlent aux eaux salées de l’océan formant ainsi une vaste zone humide parsemées de chenaux, d’îles et d’immenses marais et vasières qui se couvrent et se découvrent au gré des marées.
Cette particularité permet à la presqu’île de Guérande de poursuivre ses activités traditionnelles, la pêche, la récolte de sel et la production de tourbe. Le tourisme, la balnéothérapie et la construction navale sont également des ressources économiques importantes pour la région quoique plus récentes.

Un peu d’histoire

Le Paléolithique

S’il est certain que la Bretagne est habitée dès le Paléolithique inférieur, il est difficile de retracer son occupation durant la Préhistoire car le paysage du littoral s’est modifié à plusieurs reprises.
A la fin de la dernière glaciation (Würm) qui a eu lieu entre 16.000 et 9.700 ans avant notre ère, les températures qui s’étaient légèrement adoucies replongent probablement suite à un changement des courants de l’Atlantique. A cette époque, l’océan est bien plus reculé qu’à l’heure actuelle et la région qui profite d’un climat de type boréal est recouverte de taïgas.
Avec le réchauffement de la température au début de l’Holocène, le niveau des océans remonte en raison de la fonte des inlandsis tandis que la faune comme la flore se modifient une nouvelle fois.

Le mégalithisme

La région de Guérande est probablement habitée avant le Néolithique mais c’est vers le milieu du 5ème millénaire avant JC que cette occupation s’intensifie, principalement le long des côtes et des cours d’eau comme la Vilaine. Les nouvelles conditions climatiques favorisent le développement des forêts et de l’agriculture et, par conséquence, de la sédentarisation.
C’est également durant le Néolithique qu’un phénomène culturel important fait son apparition, le mégalithisme.
La Bretagne est l’une des régions qui a fourni le plus de mégalithes, menhirs, cromlechs, dolmens et cairns mais elle est loin d’être la seule. En effet, on retrouve des pierres dressées non seulement dans toute l’Europe de l’ouest mais également en Asie, en Afrique et en Amérique.
Guérande n’échappe pas à la règle et abrite la plus forte concentration de mégalithes de la Loire-Atlantique. Malheureusement, plusieurs menhirs et dolmens mentionnés dans différents inventaires datant du début du 20ème siècle ont aujourd’hui disparus.
On peut cependant encore admirer neuf menhirs, cinq dolmens et deux tumuli sur le territoire de la commune.

Les fours à sel

L’occupation du site se poursuit pendant et après le Néolithique et le sel de la presqu’île de Guérande est exploité dès cette époque .
On a en effet retrouvé des fours à augetsdatant du 1er millénaire avant JC le long du littoral du sud de la Bretagne et de la Vendée. Les augets se présentent sous la forme de petits vases pyramidaux tronqués fabriqués en poterie fine de 1 à 2 millimètres d’épaisseur. On les retrouve en grande quantité sur la plupart des sites ce qui témoigne de l’importance de l’activité des fours.
Durant la cuisson, les augets sont séparés les uns des autres par des « tortillons », petits cylindres d’argile en forme de S, ce qui permet de les superposer et donc de rentabiliser au maximum le four.
La structure des fours se compose d’un premier dallage en pierres plates ou en briques séparé d’un second par un ou plusieurs niveaux de compartiments carrés destinés à recevoir les augets. Un système de canalisation permet d’évacuer les eaux infiltrées.

La découverte de ces fours et de dépôts importants d’augets et de tortillons qui se comptent parfois par milliers a permis aux archéologues de confirmer l’existence d’une « industrie » relative à l’eau salée extrêmement active. En effet, ce type d’installation ne se rencontre que le long du littoral ou zones d’embouchure et est totalement absent dans l’intérieur des terres ou sur les berges des cours d’eau douce.
Le nombre impressionnant de fours à augets est également la preuve que les habitants de cette région en font une activité intense et pratiquent vraisemblablement le commerce du sel dès cette époque.

Bien que d’autres hypothèses ont été avancées, notamment l’utilisation des augets pour l’élevage de poissons ou comme creusets pour l’étain ou le plomb, la théorie selon laquelle les fours servaient pour l’évaporation du sel est dorénavant tenue pour acquise.
Outre la situation des fours dans des régions d’eau salée, d’autres faits viennent d’ailleurs l’étayer comme la forme particulière des augets en pyramides tronquées qui permet de démouler facilement le bloc de sel après l’évaporation de l’eau et qui peut également servir de mesure lors de la vente. Il est également possible que le sel était vendu directement dans son auget ce qui explique la quantité de récipients retrouvés dans les « ateliers ».

A Guérande, des silex ainsi que des poteries datant de l’époque néolithique ont été retrouvés à proximité des augets ce qui confirme que la technique de récupération du sel par évaporation est utilisée avant à l’arrivée des Romains dans la région, au 1er siècle avant notre ère. Cette activité se prolonge durant la période gallo-romaine mais n’est donc pas apportée par les légions de César.

Les Namnètes

Au cours du 1er millénaire avant notre ère, des peuples issus des civilisations celtes migrent vers l’ouest et s’implantent dans la quasi-totalité de la France.
La Bretagne est partagée entre cinq tribus, les Osimes, les Vénètes, les Coriosolites, les Redones et les Namnètesdont la capitale est Nantes. Guérande est incluse dans le territoire de ces derniers.

Lorsque les Romains franchissent les Alpes pour la première fois en 122 avant notre ère, ils s’emparent des régions Languedoc-Roussillon, Rhône-Alpes et PACA qui forment la Gaule Transalpine. Dès cette époque, les peuples celtes armoricains installés en Bretagne développent des échanges commerciaux avec eux. C’est pour cette raison qu’ils ne s’opposent pas, dans un premier temps, au passage des légions sur leurs terres lorsque Jules César part à la conquête des Gaules en 57 avant JC.
Ils n’apprécient cependant pas que les légionnaires réquisitionnent leurs récoltes durant leur hivernage et ils forment une coalition contre les Romains. La guerre qui a lieu tant sur terre que sur mer tourne au désavantage des Bretons qui sont soumis et ensuite intégrés dans la province de la Gaule lyonnaise en 27 avant JC.
Si l’Armorique est moins romanisée que les autres régions, elle profite pleinement de la Pax Romana et intensifie notamment ses relations commerciales avec les autres régions de Gaule ainsi qu’avec la province de Bretagne (la Grande-Bretagne).

A Guérande, les fouilles archéologiques ont révélé la présence d’un habitat important partagé entre la cité correspondant à l’actuel quartier de Beaulieuet le petit village d’Aula Clis (actuellement Clis) qui vit alors de la pêche. On peut encore y apercevoir les vestiges d’un mur gallo-romain probablement élevé au 1er siècle de notre ère.
Particulièrement isolée, la presqu’île ne bénéficie pas de l’infrastructure routière caractéristique des Romains. Elle poursuit cependant son activité salicole tout en se tournant vers l’agriculture intensive dans l’arrière-pays.

Les invasions barbares

Cette période de calme et de prospérité prend brutalement fin au 4ème siècle lorsque les peuples d’origine germanique profitent de l’affaiblissement de l’empire romain pour lancer des raids dans les provinces gauloises. L’Armorique et donc Guérande n’échappent pas à ces attaques sanglantes lorsque les légions romaines rappelées en Italie les laissent sans défense. Parallèlement, la Bretagne insulaire est elle aussi la proie d’invasions menées entre autres par les Saxons et les Jutes.
Les Armoricains appellent à la rescousse leurs « cousins » avec qui ils ont toujours entretenu des relations commerciales et culturelles et c’est ainsi qu’on assiste à un exode de la population insulaire vers le continent.
L’Armorique se dissocie ainsi de l’empire romain et on assiste parallèlement à une vague de christianisation de cette région restée longtemps fidèle à ses anciennes croyances celtiques.

Les francs

Petit à petit, les peuples d’origine germanique s’installent durablement sur le territoire français soit par la force soit en étant intégrés par les Romains eux-mêmes qui choisissent ce moyen pour se défendre contre d’autres invasions. Cette situation donne naissance à plusieurs royaumes. Les Ostrogoths occupent l’Italie, les Wisigoths s’établissent en Aquitaine seconde et dans la péninsule ibérique, les Vandales s’emparent du nord de l’Afrique, des îles Baléares et de la Corse, les Burgondes s’installent sur les rives du lac Léman et s’étendent jusqu’à Lyon et Valence tandis que les Francs fondent leur royaume dans la province de Belgique seconde.
A la fin du 5ème siècle, le roi des Francs saliens Clovis 1er s’empare du royaume de Syagrius, dernière enclave romaine en Gaule, et poursuit son expansion en repoussant les Wisigoths jusqu’aux Pyrénées.

Il se heurte cependant aux Armoricains qui résistent vaillamment à l’emprise franque et acceptent tout au plus de signer un traité de paix. Comme ils ne sont pas réellement intégrés dans le royaume mérovingien, les Armoricains conservent une grande autonomie et profitent de nombreux privilèges. Ils ne doivent notamment pas payer d’impôts.
Tour à tour les rois francs mérovingiens et plus tard carolingiens tentent de soumettre ce peuple indépendant et d’imposer un christianisme plus conventionnel. En effet, si les grandes abbayes et les puissants évêchés se sont imposés dans l’ensemble du royaume, ce n’est pas le cas en Bretagne. C’est pour cette raison qu’aujourd’hui encore, chaque localité vénère son propre saint patron et que certains « saints bretons » sont tout bonnement inconnus du reste de la chrétienté.
Quelques familles émergent et forment des petites entités, un émaillage rappelant l’organisation clanique qui existait en Bretagne insulaire. C’est notamment le cas du comté ou royaume de Bro Waroch (ou Broërec) correspondant à l’actuel Pays de Vannes qui devient un enjeu territorial âprement disputé entre les Bretons et les Francs.
Au 8ème siècle, le roi des Francs Pépin-le-Brefcrée la « marche de Bretagne », sorte de zone tampon comprenant les comtés de Vannes, de Rennes et de Nantes et destinée à assurer la protection de son royaume contre d’éventuels assauts des Bretons.
Les Francs ne renoncent cependant pas à soumettre cette région pour le moins récalcitrante et attaquent à plusieurs reprises une Armorique qui se révolte régulièrement contre son suzerain.

Nous sommes au début du 9ème siècle lorsque Louis 1er dit le Pieuxdécide de pousser un peu plus loin les offensives non seulement en utilisant la technique de la terre brûlée mais également en imposant la culture franque ainsi qu’un christianisme classique.
Afin d’asseoir son pouvoir, le roi nomme des représentants issus de la noblesse locale et c’est ainsi que le Breton Nominoëdevient comte de Vannes dans les années 830.

A la mort de Louis 1er, l’empire carolingien est une nouvelle fois partagé entre ses fils survivants. Selon les termes du Traité de Verdunde 843, c’est Charles II dit le Chauve qui reçoit la Francie occidentale.
Celui-ci impose le comte d’Herbages originaire du Maine à la tête du comté de Nantes dont fait alors partie Guérande. Or, ce territoire était convoité par Lambert II, le fils d’un précédent comte de Nantes.
Déçu, Lambert se tourne vers Nominoë qui est déjà en conflit avec le roi et qui saute sur l’occasion d’agrandir son territoire. Une première bataille qui a lieu à Messac tourne à l’avantage des troupes franques commandées par Renaud d’Herbauges. Assuré d’une victoire décisive, celui-ci rebrousse chemin vers Nantes mais il est surpris et vaincu par une contre-attaque menée par Lambert.

Charles II décide alors de soumettre Nominoë et pénètre en Bretagne à la tête de ses troupes. Il doit vite déchanter lorsque son armée est défaite par celle du Breton à Ballon (actuellement Bains-sur-Oust), en 845. Un traité de paix est signé l’année suivante mais il est rompu trois ans plus tard.
Nominoë et, après son décès, son fils Erispoë, s’emparent des principales villes bretonnes et lorsque l’armée franque est battue lors de la bataille de Jengland, le roi n’a plus d’autre solution que de reconnaître Erispoë comme roi de Bretagne.
Un traité de paix signé à Angers en 851 définit les frontières de la Bretagne.

Les Vikings

La paix avec les Francs est à peine signée que les Bretons doivent faire face à un nouveau danger et pas des moindres. En cette fin de 8ème siècle, les Vikings effectuent en effet des raids de plus en plus fréquents sur le territoire de la France actuelle. Navigateurs expérimentés, ils utilisent leur expérience pour atteindre les côtes et remonter les fleuves jusqu’au pied des villes. A l’origine, leur intention n’est pas de s’installer dans le pays mais bien de piller les cités et les abbayes et de repartir vers leurs contrées.
La Bretagne entourée d’eau est donc une proie facile et subit de nombreuses attaques. A partir de la seconde moitié du 9ème siècle, les Vikings changent de politique. Ils souhaitent en effet annexer et coloniser ces territoires. Pour y arriver, ils doivent s’enfoncer de plus en plus loin dans l’intérieur des terres et c’est pour cette raison qu’ils établissent des camps de base, notamment sur l’île de Noirmoutier. Ils s’emparent de Nantes à deux reprises, en 843 et en 853 et occupent le pays guérandais. C’est à cette époque que le nom de « Guérande » est mentionné pour la première fois.

Terrifiés par ces Vikings dont la cruauté et la force sont décrites et surtout amplifiées dans les chroniques de l’époque, les Francs ne cherchent que rarement à se défendre et préfèrent de loin prendre la fuite ou payer une rançon.
La vitesse de déplacement des troupes vikings et l’effet de surprise expliquent en grande partie comment une troupe beaucoup moins nombreuse et certainement moins bien armée tient en échec les Francs.
De plus, au 9ème siècle, les rois francs sont plus occupés à se disputer le pouvoir, à s’entre-tuer pour celui-ci ou à mater des révoltes de la noblesse qu’à défendre leurs terres.
C’est ainsi que malgré quelques belles victoires, les Francs ne parviennent pas à freiner la progression des Vikings. Les rois se résignent à négocier avec leurs adversaires. Charles III dit le Grospaie une rançon pour mettre un terme au siège de Paris et autorise les Vikings à traverser son territoire pour attaquer la Bourgogne. Cet aveu de faiblesse est à l’origine de la division définitive de la Francie. Le comte Eudes qui s’est distingué durant le siège de Paris devient roi de Francie occidentale après la destitution de Charles. Avant de mourir, il désigne Charles III le Simple, fils posthume de Louis II dit le Bègue, comme son successeur.
Les Vikings reprennent leur offensive et assiègent à nouveau Paris en 911. Des négociations ont lieu à Saint-Clair-sur-Epte, dans le Val d’Oise. Ce traité permet au chef viking Rollonde s’installer sur un territoire correspondant approximativement à la Haute-Normandie en échange de sa conversion et de sa protection contre d’autres Vikings. On le considère comme l’acte de naissance de la Normandie.

Le duché de Bretagne

Pendant que les Francs et les futurs Normands se livrent une guerre éreintante, d’autres Vikings ravagent et s’installent en Bretagne. Seuls quelques Bretons laissés sans protection depuis l’exil de la plus grande partie de la noblesse locale profitent de l’inaccessibilité de la côte au relief accidenté pour échapper à la mainmise des Vikings. Le royaume de Bretagne a cessé d’exister.

Jean, le dernier abbé de l’abbaye Saint-Guénolé de Landévennec pillée et incendiée en 913, qui s’était réfugié avec ses moines à Montreuil (Pas-de-Calais) retourne en Bretagne. Il propose à Alain, petit-fils du dernier roi de Bretagne en exil avec sa famille à la cour du roi anglo-saxon Aethelstan, de prendre la tête de la révolte contre les Vikings.
Victorieux, Alain devient le premier duc de Bretagne connu sous le nom d’ Alain II de Bretagne dit Barbetorte, en 937.
Pendant une très longue période, le duché de Bretagne parvient à garder son indépendance et à tirer son épingle du jeu durant les guerres opposant les Français et les Anglais.
Au début du 13ème siècle, Guérande se développe et un bourg monastique faisant partie du domaine royal est mentionné. La cité fait alors partie du bailliage ou sénéchaussée de Nantes et possède ses propres services de justice et d’ordre ce qui témoigne de son importance. La ville vit principalement de l’exploitation de ses baules, ces zones de terre recouvertes naturellement par l’océan durant les grandes marées ou par des plans d’eaux saumâtres.
Les ducs de Bretagne et leurs vassaux profitent amplement de ces ressources. Ils sont en effet propriétaires de l’estran, la zone du littoral dont les limites sont définies par plus hautes et les plus basses marées et ce sont donc eux qui accordent le droit d’y créer des salines mais également des parcs à huîtres ou des viviers. Ils confient la gestion des marais salants par contrats d’affermage.
Le terme « baule » dérivé du breton baol est typique de la région de Guérande et se retrouve encore aujourd’hui dans de nombreux noms de lieux-dits.
En revanche, la presqu’île ne compte plus aucune baule naturelle. Elles ont été en effet remplacées par des marais salants et polders artificiels.

Au siècle suivant, le domaine de Guérande appartient à Jean de Montfort, fils du duc Arthur II de Bretagne et de Yolande de Dreux.
A la mort de son demi-frère Jean III le Bon, en 1341, il réclame le titre ducal mais le roi de France a d’autres intentions. Il veut en effet placer à la tête de la Bretagne Jeanne de Penthièvre dite la Boiteuse, petite-fille d’Arthur II et surtout épouse de son neveu Charles de Blois. Philippe VI redoute en effet l’accession de Jean de Montfort qui a noué des relations étroites avec son rival, le roi d’Angleterre.
La guerre de succession de Bretagne dure 23 ans et se solde en 1364 par la victoire de la maison Montfort et de ses alliés anglais lors de la bataille d’Auray. La paix est conclue par la signature du premier traité de Guérande qui garantit la succession du duché de mâle en mâle aux Montfort. En cas d’absence d’héritier mâle, le duché retournerait dans l’escarcelle des Penthièvre.

On pourrait croire que la fin de cette guerre permet à la Bretagne de retrouver la paix mais il n’en est rien. Nous sommes en effet en 1365 et donc en pleine Guerre de Cent Ans. Jean IV de Montfortet duc de Bretagne, fils de Jean III et de Jeanne de Flandre, doit à présent honorer les accords conclus avec son allié Édouard III et accepter notamment que les troupes anglaises débarquent en Bretagne ce qui provoque une contre-attaque des Français menés par Bertrand du Guesclin.
Le duché devient un véritable champ de bataille. Les Français soutenus par une bonne partie de la noblesse bretonne sont vainqueurs, repoussent les Anglais et tentent d’annexer la Bretagne dorénavant confiée au duc d’Anjou.
Jean reprend cependant le dessus suite à une maladresse du roi de France Charles V. Celui-ci sous-estime en effet  l’attachement des Bretons à leur territoire et prononce l’intégration du duché dans le domaine royal, sans se préoccuper des droits de la famille de Penthièvre, droits garantis par le traité de Guérande.
Cette décision provoque un soulèvement en Bretagne et Jean le met à profit pour rentrer au pays à la tête d’une troupe anglaise.
En 1381, un second traité de Guérandeest signé à la chapelle Notre-Dame-la-Blanche. Jean IV de Bretagne reprend possession de l’ensemble de ses terres. Il doit en revanche prêter hommage à Charles VI, l’assurer de la neutralité de la Bretagne et donc se défaire de ses conseillers anglais.
Pendant toute cette période, l’activité salicole de Guérande n’a cessé de se développer et la  population de la ville augmente aussi vite que la superficie de ses marais salants. Cette activité attire des travailleurs et est à l’origine de la fondation de plusieurs villages.
La cité doit cependant rivaliser avec le Croisic qui connaît un développement économique important au détriment de Guérande et obtient des privilèges en étant vassal direct du duc de Bretagne.

Anne de Bretagne

La fin du 15ème siècle marque un nouveau tournant dans l’histoire de la Bretagne. Le duc François II se soulève contre le roi de France Louis XI dit le Prudent et noue des alliances avec ses ennemis. Or, il se trouve isolé après les décès successifs de Charles de France et des ducs d’Alençon et de Bourgogne entre les années 1472 et 1477.
Louis XI en profite pour conclure un traité de paix à Senlis et François II promet de renoncer à une alliance avec l’Angleterre et de se ranger aux côtés de la France en cas de guerre. Le duc ne respecte cependant pas cet accord ni d’ailleurs ceux signé en 1482 et en 1485.
Il s’avère que l’unique fils du duc n’a vécu que quelques jours et que ses seuls autres enfants légitimes sont deux filles, Anne et Isabeau.
Selon le premier traité de Guérande, la Bretagne doit donc revenir aux Penthièvre mais Louis XI rachète en 1480 les droits de la famille.
François II qui ne veut pas que son duché passe dans le domaine royal fait reconnaître ses filles comme héritières légitimes par les États de Bretagne.
Anne de Bretagne devient ainsi l’une des héritières les plus courtisées d’Europe et les prétendants se bousculent pour obtenir sa main.
Son père joue de cette situation et entreprend des négociations avec plusieurs d’entre eux simplement pour obtenir une aide financière ou une alliance politique. La jeune fille se retrouve ainsi fiancée avec la plupart des princes européens célibataires avant l’âge de dix ans.
Le duc décède en 1488 alors que la Bretagne est toujours en guerre contre la France. De plus, quelques jours avant sa mort et après la défaite des Bretons à Saint-Aubin-du-Cormier, François II a signé le Traité du Vergerqui stipule qu’il ne peut pas marier ses filles sans le consentement du roi de France, Charles VIII dit l’Affable.
Anne âgée de seulement 11 ans s’installe avec sa cour à Guérande car une épidémie de peste frappe la ville de Nantes. Guérande retrouve ainsi temporairement son aura et surtout quelques privilèges.
La jeune fille s’oppose à son tuteur le maréchal Jean de Rieux qui souhaite la voir épouser le seigneur d’Albret, Alain dit le Grand. Devant son refus, le maréchal n’hésite pas à assiéger Guérande. Le pays est divisé en deux clans, les partisans d’Anne regroupés à Guérande et ceux de Jean de Rieux qui sont pour la plupart originaires de Nantes et du Croisic.

Finalement et malgré la clause du traité du Verger, Anne de Bretagne est proclamée duchesse de Bretagne et est mariée par procuration en 1490 à Maximilien d’Autriche ce qui rend le roi de France furieux. Les troupes françaises assiègent Rennes, les Bretons doivent capituler et le mariage est annulé.
L’année suivante, Anne devient reine de France en épousant Charles VIII. Son contrat de mariage stipule entre autres qu’elle devra épouser le successeur de son mari si le couple n’a pas d’héritier mâle.
Lorsque le roi décède accidentellement à l’âge de 26 ans, les six enfants du couple sont tous décédés en bas âge. Anne redevenue souveraine du Duché de Bretagne épouse donc Louis XII qui s’est empressé d’annuler son propre mariage avec Jeanne de France dit la Boiteuse, mariage qui selon lui n’aurait jamais été consommé.
En réalité, il veut mettre la main sur le duché de Bretagne mais Anne ne se laisse pas faire et conserve son titre et ses droits sur le duché. Leur fille Claude de France apporte l’usufruit du duché de Bretagne à son époux, François 1er, un usufruit qu’il conserve après la mort de sa femme, pour le compte de son fils François III. La Bretagne devient officiellement française en 1532 mais conserve certains privilèges et surtout une grande indépendance.

Le terrouer de Guérande

Le séjour d’Anne de Bretagne à Guérande, si bref qu’il fut été, a été bénéfique à la ville puisque la reine de France s’est toujours intéressée à ce pays qui l’avait défendue alors qu’elle se trouvait en difficulté.
C’est ainsi que prend naissance le « terrouer » de Guérande, une circonscription à la fois militaire, judiciaire et religieuse administrée par un représentant des ducs de Bretagne et des évêques de Nantes. Ce terrouer regroupe plusieurs seigneuries et abbayes et connaît de ce fait une certaine opulence tirée non seulement de l’exploitation du sel mais également de la pêche.
Malheureusement, cet âge d’or décline au cours des siècles car les petits ports de la presqu’île ne peuvent pas rivaliser avec les nouvelles installations notamment celles de Nantes. De plus, les marais salants ont de plus en plus de mal à faire face à la concurrence d’autant plus que le sel ne représente plus une monnaie d’échange.
La population autrefois aisée s’appauvrit rapidement et la ville est désertée par ses habitants qui partent dans l’espoir de trouver du travail ailleurs.

Si dans un premier temps, la Révolution ne touche pas la ville de Guérande, elle est un peu malgré elle mêlée à la Chouannerie.
En effet, le 18 mars 1793, quelques milliers de paysans et de marins qui s’insurgent contre la « levée en masse » décidée par la Convention pour renforcer son armée bombardent la cité. Peu armés et tout aussi peu organisés, les révoltés ne parviennent pas à faire tomber cette ville fortifiée mais les Guérandais qui sont pour la plupart en accord avec eux leur ouvrent les portes. Le Croisic ne tarde pas à capituler également et les pro-royalistes restent temporairement maîtres de ces fiefs. Quelques jours plus tard, les paysans retournent à leurs occupations et Guérande est reprise sans coup férir par les Républicains. Les Chouans tenteront à nouveau de reprendre Guérande quelques années plus tard, à l’époque des Cent Jours, mais en vain.

Après ce bref épisode, l’exploitation des marais salants est redynamisée car les œillets, ces bassins rectangulaires permettant de recueillir le sel, sont saisis comme biens nationaux et sont revendus après la Révolution . Il faut cependant se rendre à l’évidence, cette redistribution profite nettement plus à la classe bourgeoise et aux propriétaires terriens qu’aux ouvriers même si ceux-ci retrouvent du travail.

A l’époque contemporaine

Malgré la relance de l’activité salicole au lendemain de la Révolution, Guérande ne peut pas concurrencer les salines de la Méditerranée qui produisent du sel moins cher et l’expédie dans tout le pays grâce au développement du réseau de chemin de fer. Les salines de l’Atlantique connaissent un déclin constant encore aggravé par l’apparition de nouvelles techniques de conservation des aliments.
Dans les années 1960, le tourisme se développe ce qui provoque un intérêt croissant des compagnies immobilières pour les terrains bordant le littoral. Heureusement, de nombreuses associations s’élèvent contre le projet immobilier qui marquerait la disparition des marais salants de Guérande et une véritable catastrophe environnementale.
Un collectif associatif parvient à relancer encore une fois l’activité salicole grâce à la création de labels. Aujourd’hui, les marais salants de Guérande sont protégés au titre de patrimoine naturel et la région profite à la fois du tourisme, de la commercialisation d’un sel labellisé et d’un environnement préservé.

La visite

Guérande a conservé son aspect de ville fortifiée médiévalegrâce au classement de ses remparts au titre de monument historique en 1877.
Aujourd’hui labellisée ville d’art et d’histoire, la cité est fière de ses fortifications typiques de l’architecture militaire bretonne et qui lui valent le surnom de la « Carcassonne de l’Ouest ». Flanquées de six tours et ouvertes par quatre portes, elles dominent le paysage caractéristique des marais salants qui couvrent près de 2.000 hectares. La Porte Saint-Michel, entrée principale devenue le symbole de Guérande servait autrefois de logis du capitaine.

La chapelle Notre-Dame-la-Blanche édifiée au 13ème siècle sur le site d’un cimetière mérovingien a été le théâtre de la signature du second traité de Guérande.

La collégiale Saint-Aubin est construite au 15ème siècle sur le site d’une église romane. Quelques éléments de celle-ci se retrouvent encore dans l’édifice de style gothique flamboyant. La légende raconte que Saint-Aubin en personne est venu galvaniser les Guérandais afin de leur donner le courage de repousser les Vikings.

Après avoir fait le tour de la ville, apprécié ses nombreuses ruelles bordées de maisons médiévales et de boutiques d’artisans et savouré les spécialités locales proposées par les producteurs installés dans les halles, il est temps de partir à la découverte de ce qui a fait la richesse de Guérande, les marais salants :

Le musée des Marais Salants

propose une découverte interactive et ludique de l’histoire des salines, de leur exploitation et des paludiers.

En pratique

Le musée est ouvert :

  • tous les jours sauf le lundi de 10 à 12hr30 et de 14 à 17 hr en dehors des vacances scolaires
  • tous les jours de 10 à 19hr en juillet et août
  • tous les jours sauf le lundi de 10 à 18hr pendant les congés scolaires, en juin et en septembre
  • fermeture les 1er janvier, 1er mai, 1er novembre et 25 décembre
    Des animations et des visites commentées sont organisées régulièrement.

Musée des Marais Salants
Place Adèle Pichon
44470 Batz-sur-Mer

La maison des Paludiers

vous propose une visite guidée des marais salants de Guérande de début avril à mi-septembre. En saison, vous pouvez assister à la récolte de la fleur de sel et du gros sel et mieux comprendre les techniques utilisées pour profiter de ce cadeau de la nature offert aux habitants de la presqu’île.
En pratique :
La visite dure approximativement 1hr30 et le nombre de places est limité. Il est donc conseillé de réserver en haute saison.
Le départ se fait tous les jours :

  • à 15hr30 de début avril à début juillet
  • à 10hr30, 14hr30, 15hr30 et 16hr30 en juillet et août
  •  à 15hr30 et 16hr30 la première quinzaine de septembre

La maison des paludiers
18 rue des prés Garnier
44350 Saillé (Guérande)
Tel : 09 53 07 74 06
Mail : contact@maisondespaludiers.fr

Une visite de Guérande ne serait pas complète sans la découverte des nombreux mégalithes de la commune dont:

  • Le menhir de Bissin ou Caillou de Gargantua mesure 3m50 de haut et 2m de large.
  • Le dolmen de Sandun, une allée couverte de 7m50 de long sur 1,5 de large aujourd’hui en ruines et qui s’élevait à proximité d’un village néolithique dont quelques vestiges ont été découverts en 1987.
  • La pierre de Congor ou de Saillé est une pierre dressée de 1m60 de haut sur 1,20 de large qui se trouve au lieu-dit Clos de la Pierre.
  • Le menhir de Keroland mesure 2m10 de haut sur 1m de large.
  • Le pétroglyphe de Brandu
  • Le tertre de Brétineau bien caché sous les broussailles mesure 72 mètres de long sur 12 de large et est entouré de blocs de granit.

Que manger dans la région ?

Après une visite de la ville et des marais salants, il est temps de passer à table et de savourer quelques spécialités de la presqu’île de Guérande :

  • L’alose farcie à l’oseille, un poisson pêché autrefois dans l’estuaire de la Loire au mois de mai, très apprécié pour sa chair moelleuse. A l’heure actuelle, elle est souvent remplacée par un sandre.
  • La salicorne, une plante typique des zones humides salées se déguste marinée dans du vinaigre et des aromates, en omelette ou simplement cuite pour accompagner un poisson.
  • Le tourton, un pain brioché à déguster chaud de préférence.
  • Le sel de Guérande qui relève agréablement tous nos plats … à déguster avec modération bien évidemment.
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